Avant de se lancer dans de grandes réformes, sabre au clair et tambour battant, les responsables politiques feraient parfois bien de consulter les études de chercheurs en psychologie sociale. Ils découvriraient en particulier que de très nombreuses études, depuis plus de 15 ans, confirment abondamment un fait auquel ces responsables vont forcément se heurter : consciemment et inconsciemment, les citoyens soutiendront toujours l’ordre social existant. Ce que l’on appelle « le biais (ou la théorie) de la justification du système ».
Ce biais psychologique est intéressant à voir de plus près et à comprendre.
John Jost, du Département de psychologie de l’Université de New-York (États-Unis), a fait en 2004 une compilation d’études sur le sujet, compilation qui reste une référence.
On peut partir d’une question : pourquoi une société a tant de mal à changer ? Une première réponse est que les humains ont un parti pris mental pour maintenir le statu quo, et sur tous les plans. On a du mal à les convaincre de penser autrement qu’ils ne pensent. Ils achètent les mêmes choses, retournent dans les mêmes restaurants et continuent à soutenir les mêmes opinions. Face à un changement potentiel, ils se sentent plus en sécurité avec l’ordre établi. Ainsi le besoin d’ordre et de stabilité, et donc la résistance au changement ou à des alternatives, incite les individus à considérer le statu quo comme étant bon, légitime et même souhaitable – ce qui est parfois vrai, d’ailleurs, lorsque les changements imposés sont déraisonnables.
De plus et curieusement, ils sont prêts à descendre dans la rue pour défendre cet ordre établi même s’ils tireraient avantages des changements proposés.
Car c’est un autre aspect mis en évidence par John Jost dans sa « théorie de la justification du système » : des comportements paradoxaux. En voici quelques-uns :
Pourquoi la prévalence de ces comportements (qui semblent irrationnels) dans lesquels les gens sont à la fois partisans et victimes ? Parce que, nous expliquent les psychologues, les gens justifient le système en place afin de pouvoir accepter des réalités injustes ou déplaisantes qui leur apparaissent comme inévitables. Et, ainsi, les alternatives au statu quo ont tendance à être décriées et les inégalités ont tendance à se perpétuer.
Il est donc difficile de faire évoluer une société (par exemple sur un régime social), un système (comme le système éducatif) ou des comportements particuliers. Pour cela, il faut s’intéresser autant au changement qu’à l’accompagnement au changement. Et peut-être bien plus à l’accompagnement au changement qu’au changement lui-même. Faute de quoi, on risque de sérieux problèmes.
Bruno Hourst
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