Pendant des décennies, les chercheurs qui étudient la science du vieillissement ont consacré la majeure partie de leur temps à essayer de comprendre ce qui ne va pas avec le fait de devenir âgé, quels facteurs de risque nous prédisposent à la maladie dans notre vieillesse et comment mieux la diagnostiquer et la traiter. Étaient – et sont toujours – abondamment étudiés le déclin cognitif avec l’âge et, bien entendu, les maladies dégénératives gravissimes comme la démence sénile, les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, qui touchent essentiellement les personnes âgées. Mais globalement et jusqu’aux années 2000, le déclin associé à l’âge était considéré comme inévitable.
Et voilà que des chercheurs du Memory and Aging Center de l’UCSF (Université de Californie, à San Francisco, USA) sont tombés sur un cas, suivi d’autres, qu’aucun manuel médical traditionnel ne pouvait expliquer. Le scan du cerveau de ces octogénaires (ou plus) montre toutes les particularités habituelles du vieillissement cérébral, et pourtant ces personnes ont une vitalité et un dynamisme exceptionnel, et des capacités cognitives pratiquement inchangées depuis de nombreuses années. Les chercheurs se sont alors posés plusieurs questions :
Comme il faut nommer toute chose, ils ont appelé ces cas particuliers des « super-agers ». Je n’ai pas trouvé de terme utilisé en français pour traduire ce nouveau mot. On pourrait les appeler des « super-seniors ». Découvrons un peu ces papys et ces mamies qui font de la résistance au vieillissement.
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L’Américain Joel Kramer, qui dirige le programme de
neuropsychologie de l’UCSF, a été le déclencheur de ces recherches. Parmi la
cohorte de personnes âgées participant à des études à l’UCSF, il y en avait
une, octogénaire, dont le cerveau présentait toutes les caractéristiques du
vieillissement. Son cerveau avait commencé à s’atrophier et sa substance
blanche – composée de longs faisceaux de cellules nerveuses qui transportent
des signaux d’une zone à une autre – comportait des plaques mortes, suggérant
que cette personne avait subi des mini attaques cérébrales souvent associées au
déclin cognitif.
Pourtant, aux tests comportementaux, cette personne était en plein essor. Ses
résultats aux tests cognitifs étaient impeccables et sa capacité à fonctionner
socialement dans le monde très élevée, identique à ce qu’elle avait été depuis
des années. Comment se faisait-il que cette personne n’ait pas subi les ravages
du temps ?
Lorsque Joel Kramer rencontra la personne, il fut frappé par son dynamisme et
sa vision ensoleillée de la vie. Non seulement cette personne ne regrettait pas
d’être âgée, mais elle en était heureuse. Constamment occupée par des projets,
valorisant l’importance des relations, proche de sa famille, cette personne
semblait vraiment apprécier ses années de vieillesse.
C’est là où Kramer inventa un nom pour les gens comme cette personne,
vigoureuse et dynamique : les « super-agers ». Les super-agers
sont des personnes de 70 à 80 ans (ou plus) qui ont les capacités mentales et
physiques de quelqu’un de beaucoup plus jeune. Et Kramer, avec son équipe, a
entrepris de résoudre le mystère de leur succès. Car l’affaire est
d’importance : à mesure que nous vieillissons, lorsque l’on constate une
baisse de la mémoire et d’autres compétences cognitives, les gens ont tendance
à penser que c’est normal, que cela fait partie du vieillissement normal. Et
Kramer a pris conscience que non, ce n’est pas normal, il ne doit pas en être
ainsi, il peut en être autrement.
Joel Kramer suit certains de ses « super-agers »
depuis plus d’une décennie. Ils se comptent maintenant par dizaines et font
partie d’une cohorte beaucoup plus large de sujets âgés de 60 à 95 ans. Tous
les deux ans au moins, chaque sujet vient répondre à des questions sur son mode
de vie et subir une batterie de tests – fonctions cognitives, composition
sanguine, volume cérébral et mesure d’un large éventail d’autres facteurs
associés au vieillissement et à la capacité du cerveau de fonctionner.
Une première piste qui semble influencer le vieillissement pourrait être liée à la personnalité des personnes. En particulier, il a été constaté que les gens qui sont plus optimistes vieillissent mieux que les gens qui ne le sont pas.
Une autre piste a été explorée par Elissa Epel, qui codirige le Centre sur le vieillissement de l’UCSF et co-auteur de L’effet télomère : Une approche révolutionnaire pour allonger sa vie et ralentir les effets du vieillissement (les télomères sont un marqueur du vieillissement, plus ils sont courts, plus on vieillit vite). Elle a constaté que l’âge chronologique et l’âge biologique ne correspondaient pas toujours. Elle a tenté de comprendre ce qui rend certains d’entre nous plus résilients que d’autres, et l’une des réponses semble être le stress. Elle explique : « La biologie du vieillissement et la biologie du stress sont des amis intimes, et ils s’influencent mutuellement. Plus les signes de stress chronique sont importants, plus les signes de vieillissement dans les cellules sont importants. » Elle donne comme exemple de stress chronique les membres d’une famille qui doivent s’occuper d’un enfant atteint d’une maladie chronique ou d’un conjoint atteint de démence. Le stress chronique agit au niveau cellulaire et peut avoir de nombreux effets néfastes.
Mais Elissa Epel a découvert qu’il y a des choses que nous pouvons faire pour contrer les effets toxiques du stress et ralentir le processus de vieillissement. Et cela tient essentiellement à notre façon de voir le monde et de considérer la réalité que nous vivons – et elle est retombée sur l’état d’esprit des « super-agers » observés par Joel Kramer.
Nous verrons dans un second billet les quatre caractéristiques principales de ces « super-agers » – ou « super-seniors ».
Bruno Hourst
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