Il semble généralement admis que les facultés cognitives diminuent avec l’âge : en vieillissant, notre cerveau aurait de plus en plus de mal à réfléchir ou à mémoriser.
Une étude de deux chercheurs allemands de l’Université de Tübingen, Michael Ramscar et Harald Baayen, publiée dans la revue Topics in Cognitive Science, suggère tout le contraire : non seulement le déclin cognitif lié à l’âge ne correspond à aucune réalité, mais de plus, chez les sujets sains, les capacités cognitives se bonifieraient avec le temps.
L’idée qui prévaut aujourd’hui est que les difficultés de mémorisation et la lenteur des seniors à réfléchir sont autant de signes précurseurs d’un déclin cognitif susceptible d’évoluer, au pire, vers une démence sénile. Et certains parlent de déclin cognitif à partir de 24 ans, en comparant les capacités de jeunes et de moins jeunes à jouer à un jeu vidéo…
Tout en acceptant que les maladies physiologiques de la vieillesse existent clairement, les deux chercheurs allemands expliquent que les changements cognitifs habituels associés à l’âge s’expliquent par l’expérience accumulée par le cerveau : par exemple, si les personnes âgées ont plus de peine à retenir certaines paires de mots lors d’un test de mémoire, c’est parce qu’elles ont acquis, au fil des années, une perception très fine de tout ce qui peut être relié à cette paire de mots, et qu’elles ont donc une charge cognitive plus importante à gérer.
Autrement dit, les adultes plus âgés montrent une plus grande sensibilité que les adultes plus jeunes à toutes les nuances de l’information qui doit être traitée par leur cerveau. Ce sont leurs expériences accumulées qui expliquent ce qui nous apparaît comme un ralentissement des facultés cognitives par rapport à un cerveau jeune, et non un déclin cognitif.
Le cerveau est programmé pour sélectionner sans arrêt les informations qui lui semblent les plus utiles et les plus significatives parmi toutes celles qui lui parviennent, écrivent Michael Ramscar et Harald Baayen. Il est par conséquent normal qu’avec l’expérience, les seniors se montrent « plus habiles » à cette tâche de tri, qui implique l’oubli de choses secondaires. D’autre part, si les personnes âgées sont plus lentes à répondre aux questions, c’est parce qu’elles ont accumulé une telle somme de connaissances que le processus cérébral de traitement de l’information prend nécessairement plus de temps.
Pour Michael Ramscar et Harald Baayen, il y aurait une analogie forte entre le cerveau apprenant et le cerveau vieillissant. L’évolution des résultats des individus aux tests cognitifs ne refléterait donc pas un déclin au fil des ans, mais attesterait de la « poursuite d’un processus d’optimisation des performances du cerveau ». Les deux chercheurs ne nient pas pour autant que l’avancement en âge s’accompagne d’un ralentissement des performances cognitives, mais ils contestent la signification qu’on attribue habituellement à ce phénomène. Et, sauf en présence de symptômes de démence sénile, il n’y a « pas de raison de parler de déclin cognitif chez une personne âgée ». Autrement dit, ce diagnostic serait un mythe et ne devrait plus être utilisé pour des sujets sains.
Que penser alors des recherches constatant des modifications du cerveau avec l’âge ? A l’exception des maladies réelles comme la maladie d’Alzheimer, les chercheurs ont compris que ces changements au niveau cérébral ne sont pas la cause d’un déclin cognitif : le cerveau fonctionne autrement. Comme l’explique Panteleimon Giannakopoulos, chef du Département de santé mentale et de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève, il y a vraisemblablement une confusion à propos de ce ralentissement cognitif : « ce n’est pas parce que les performances cérébrales sont moins vives qu’elles perdent en pertinence. »
L’association qui est souvent faite actuellement entre vieillissement et perte progressive des capacités cérébrales entraîne un « absurde gaspillage du capital humain », estime Harald Baayen. En disant aux gens qu’ils deviennent plus stupides avec l’âge, ils se comportent comme si c’était vrai.
Il ne faut cependant pas oublier qu’un déclin cognitif réel chez les personnes âgées peut être lié à des modes de comportement modifiés et à une manière de vivre différente : par exemple, le manque d’activités physiques peut avoir une influence sur les capacités cognitives.
Les deux auteurs de l’étude s’inquiètent et concluent en disant : « … le vieillissement de la population est considéré comme un problème en raison de la crainte que les personnes âgées ne soient un fardeau pour la société ; ce qui est plus probable, c’est que le mythe du déclin cognitif conduit à un gaspillage absurde du potentiel et du capital humain. Une meilleure compréhension des avantages du vieillissement profitera à toute la société, pas seulement à ses membres plus âgés. »
Références
The Myth of Cognitive Decline : Non-Linear Dynamics of Lifelong Learning
The Myth of Cognitive Decline : Elderly Know More and Use it Better
Le déclin du cerveau agé, un-mythe ?