L’effet Mozart : mythe ou réalité ?

La recherche publiée par Frances Rauscher et ses collègues en 1993 dans la revue Nature, intitulée « Musique et performance dans les tâches spatiales » avait fait grand bruit : un groupe de collégiens ayant écouté le premier mouvement allegro con spirito de la sonate en ré majeur pour deux pianos de Mozart KV 448 avait obtenu des résultats significativement plus élevés à des tests standardisés de raisonnement spatial qu’un groupe à qui l’on avait demandé de se détendre, et qu’un autre groupe de collégiens qui étaient restés assis en silence.

A l’époque, les résultats de cette étude se sont rapidement traduits par « Faites écouter du Mozart à vos enfants et ils deviendront intelligent ». Une industrie artisanale était née. On se mit à vendre des CD de musique classique dans le but de développer l’intelligence de nos chères têtes blondes. Et même s’ils ne sont pas forcément devenus plus intelligents, cela n’a pu leur faire que du bien.

Cependant, d’autres chercheurs ont voulu reproduire l’expérience pour en tester la fiabilité. Plusieurs questions se posaient en particulier :

  • Est-ce que c’est la musique classique qui nous rend directement plus intelligent, ou est-ce l’atmosphère positive dans laquelle la musique nous met ?
  • Est-ce que la musique classique a des effets particuliers que n’ont pas d’autres sortes de musiques ?

Depuis l’étude de 1993, la majorité des études portant sur l’écoute de la sonate KV 448 de Mozart ont montré une amélioration plutôt faible des performances sur des tâches spatiales par rapport à des participants exposés à des stimuli non musicaux ou qui restaient assis en silence.

Lorsque suffisamment d’études sur un sujet ont été effectuées, on peut les combiner en une méta-analyse et ainsi évaluer l’effet global de l’expérience étudiée. Certaines méta-analyses effectuées sur l’effet Mozart présentaient des résultats contradictoires.

Jakob Pietshnig de l’université de Vienne (Autriche) et ses collègues, dans un article paru dans la revue Intelligence, ont présenté les résultats de ce qu’ils prétendent être la plus grande méta-analyse jamais réalisée sur la question de savoir s’il existe ou non un effet Mozart : près de 40 études, 104 échantillons indépendants et plus de 3 000 participants. Qu’ont-ils trouvé ?

Suivons la logique de leurs conclusions, qui se résument en cinq points.

1. Des échantillons de personnes ayant écouté la sonate de Mozart KV 448 ont obtenu des résultats significativement supérieurs dans les tâches spatiales que des échantillons de personnes exposés à des stimuli non musicaux ou à l’absence de stimulus.
3. Des échantillons de personnes ayant écouté un autre type de musique ont obtenu des résultats significativement plus élevés pour les tâches spatiales que des échantillons de personnes exposés à des stimuli non musicaux ou à l’absence de stimulus.
5. La taille des études menées par des chercheurs affiliés aux laboratoires de Frances Rauscher (la chercheuse à l’origine de « l’effet Mozart ») était trois fois plus élevée par rapport aux études publiées par d’autres laboratoires.

Jakob Pietshnig et ses collègues chercheurs concluent, après de subtiles arguties :
« Dans l’ensemble, il ne reste que peu de choses pour soutenir la notion d’une amélioration spécifique de l’exécution de tâches spatiales par l’exposition à la sonate KV 448 de Mozart. »
Autrement dit : l’effet Mozart est faible, au mieux. Faire écouter cette sonate pour deux pianos à son bébé, ou même à son fœtus (on peut trouver de nombreuses images de femmes enceintes avec un casque audio autour de leur gros ventre) ne semble pas avoir l’effet miracle escompté.

Mais ne nous arrêtons pas là. Est-ce que cela signifie que la musique n’est pas importante ? Pas du tout. D’innombrables personnes éprouvent un grand plaisir à écouter de la musique et cet état de plaisir peut être très bénéfique, du moins temporairement, dans la vie de tous les jours.

Et d’autres recherches montrent que, pour des effets plus durables et des changements positifs, il est plus important d’apprendre à faire de la musique que de simplement écouter de la musique. L’apprentissage de la musique change littéralement le cerveau, augmentant le corps calleux (la partie du cerveau qui relie les deux hémisphères du cerveau entre eux) et modifie les gènes favorisant la mémoire et l’apprentissage .

Laurel Trainor, psychologue à l’Université de recherches McMaster (Canada) et son équipe de chercheurs ont montré, par un certain nombre d’études, l’impact considérable de l’enseignement de la musique sur le cerveau et les capacités cognitives.

Dans une étude publiée dans le Journal of Neurosciences, Claudia Lappe, de l’université de Munster (Allemagne) et ses collègues ont étudié deux groupes de non-musiciens. L’un des groupes a appris à jouer une séquence musicale au piano, tandis que l’autre groupe écoutait et formulait des jugements sur la musique jouée par les participants du premier groupe. Les réponses corticales des deux groupes différaient significativement après deux semaines, montrant dans le premier groupe une réorganisation plastique du cortex auditif, supérieure à celle constatée dans le deuxième groupe.

Mais ce n’est qu’un exemple des avantages de l’apprentissage de la musique. L’instruction musicale, par rapport à la simple écoute de la musique, peut avoir des effets à long terme car les compétences acquises lors des leçons de musique ont un réel transfert. Selon Laurel Trainor, apprendre à jouer d’un instrument présente de nombreux avantages :
« L’enfant doit tenir un instrument, positionner ses mains, écouter le son émis par l’enseignant, le reproduire, le garder à l’esprit et le comparer, évaluer la hauteur et la qualité du son, et le modifier si nécessaire, ce qui demande une énorme quantité d’attention. L’apprentissage musical enseigne aux enfants comment accomplir certaines tâches, ainsi que développe la mémoire. » Et si l’on suit la théorie des intelligences multiples, pratiquer un instrument de musique met en œuvre l’ensemble des huit intelligences

Dit autrement : il n’existe pas de voie rapide (comme écouter du Mozart) pour développer l’intelligence. Les avantages à long terme nécessitent une formation à long terme. Écouter de la musique peut être bénéfique temporairement pendant que vous travaillez, surtout si cela vous fait du bien, vous inspire et vous motive à travailler plus, mais soyez très sceptique face à quiconque prétend que 8 minutes de quoi que ce soit auront des effets durables sur l’intelligence. Pour un effet à long terme, la pratique de la musique est ce qu’il y a de mieux.

En résumé, pour développer l’intelligence de tous les enfants, les recherches sont convergentes : faire pratiquer la musique aux enfants, et pas seulement l’écouter. Les études citées ici sont récentes, mais de nombreuses autres les ont précédées – dont certaines réalisées en France. Des expérimentations en classe de primaire, très positives, ont eu lieu – sans changement notable au niveau des programmes officiels, où pourtant l’enseignement musical devrait tenir une place majeure et centrale.

Bruno Hourst

Ressources

What’s The Size Of The Mozart Effect? The Jury Is In

Cortical Plasticity Induced by Short-Term Multimodal Musical Rhythm Training

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