Il est souvent question dans les billets de ce blog de l’importance que l’on devrait donner à la musique dans notre vie, dans notre société et – surtout – à l’école. De très nombreuses études ont confirmé le fait, que l’on peut résumer d’une manière quelque peu simpliste : quand on pratique la musique, on réussit mieux à l’école. Malgré cela, la musique est quasiment absente de tous les programmes scolaires officiels, et il faut s’en remettre à des initiatives locales pour que la musique entre – un peu – dans une école. Et l’on pourrait dire la même chose, d’une manière plus générale, sur la place des arts à l’école : extrêmement réduite, quand elle n’est pas inexistante.
Un autre point souvent remarqué : une majorité d’élèves n’aiment pas les mathématiques. Il suffit d’interroger les adultes autour de soi (en particulier les femmes) sur leurs souvenirs des mathématiques à l’école : le résultat est au mieux affligeant, au pire terrifiant. Et, au bout du compte, la France manque de scientifiques.
Un troisième point. Les consultants en créativité sont les gourous de notre époque. Et comment apprend-on aux enfants à l’école à être créatifs ? Car pour l’essentiel, ils doivent suivre des processus rigides de pensée suivant un programme précis, et ils sont sanctionnés par le fait qu’ils ont (ou n’ont pas) suivi correctement ces processus. La créativité et l’imagination n’ont que peu de place dans notre système scolaire.
Quel rapport entre ces trois points ? Allons voir du côté d’un homme souvent cité, mais pas forcément sur ces points-là : Albert Einstein.
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Einstein était un grand scientifique, tout le monde sait cela. Mais c’était également un musicien de qualité, qui pratiquait le piano et le violon. Ses biographes ont relevé des propos intéressants, qui peuvent éclairer le préambule ci-dessus.
Une première citation du grand homme pour commencer : « Les plus grands scientifiques sont aussi des artistes » (l’inverse n’est sans doute pas vrai : beaucoup de grands artistes ne sont définitivement pas de grands scientifiques).
On a pourtant tendance à bien séparer les deux : « Ma fille est une artiste, c’est pour ça qu’elle est nulle en maths », pourrait-on couramment entendre d’une mère.
Quelle différence fait Einstein entre science et arts, puisqu’il relie les deux ? Étonnamment, pour lui, ce n’est pas le contenu d’une idée qui détermine si quelque chose est de l’art ou de la science, c’est la façon dont l’idée est exprimée. « Si ce qui est vu et vécu est représenté dans le langage de la logique, alors c’est de la science. Si cela est communiqué par le biais de formes qui ne sont pas accessibles à l’esprit conscient mais sont reconnues intuitivement, alors c’est de l’art ».
Ainsi science et art seraient la même chose sous des formes différentes, comme l’énergie et la matière (E = mc²), ou l’espace et le temps.
Et la créativité ? Pour Einstein, l’idée créative (en anglais : insight) du scientifique ne vient pas de la logique ou des mathématiques. Elle vient, comme pour les artistes, de l’intuition et de l’inspiration. Comme il l’a dit à un ami : « Toutes les grandes réalisations de la science doivent partir d’une connaissance intuitive. Je crois à l’intuition et à l’inspiration… Parfois, je suis certain d’avoir raison sans en connaître la raison ». Citation que l’on peut relier à sa célèbre déclaration : « l’imagination est plus importante que la connaissance ». Et ailleurs il écrit encore plus clairement que « aucun scientifique ne pense en termes d’équations ».
D’après ses biographes, Einstein travaillait intuitivement et s’exprimait logiquement. Il avait l’intuition, puis il la mettait en mots. Il a longuement expliqué cette idée à un spécialiste de la créativité en 1959, en disant à Max Wertheimer qu’il ne pensait jamais en symboles logiques ou en équations mathématiques, mais en images, en sentiments et même en architectures musicales.
Dans d’autres interviews, il a attribué sa perspicacité scientifique et son intuition principalement à la musique. Son fils Hans raconte que « chaque fois qu’il sentait qu’il était bloqué ou dans une situation difficile dans son travail, il se réfugiait dans la musique, et cela résolvait généralement toutes ses difficultés ». Quelque chose dans la musique guidait ses pensées dans des directions nouvelles et créatives.
L’importance de la musique dans la pensée imaginative d’Einstein correspondent certainement à ce que le physicien a dit au grand pionnier de l’éducation musicale, Shinichi Suzuki : « La théorie de la relativité m’est venue par intuition, et la musique est le moteur de cette intuition. Mes parents m’ont fait étudier le violon dès l’âge de six ans. Ma nouvelle découverte est le résultat d’une perception musicale ».
Aucun responsable de programmes scolaires ne semble connaître ou avoir pris au sérieux ces commentaires d’Einstein sur l’intuition scientifique et la musique. Dommage. Einstein nous explique comment tout cela est lié. Mais qu’apprennent généralement les élèves, surtout au lycée et à l’université ? Ils apprennent les maths sans musique, les sciences sans images, sans sentiments et sans intuition. Ils acquièrent des connaissances sans imagination. Non seulement l’intuition n’est pas développée, mais de nombreux enseignants de mathématiques et de sciences n’acceptent pas les réponses (même si elles sont correctes) qui ne sont pas expliquées par une logique détaillée. Pour Einstein, l’imagination venait d’abord, la logique ensuite. Pas étonnant que tant d’élèves n’aiment pas les maths et les sciences : qu’y a-t-il à imaginer et à ressentir ? Où est l’art dans leur apprentissage ? Comment la musique peut-elle servir de déclencheur à leur intuition si elle n’est pas pratiquée ?
Bruno Hourst
Ressources
Einstein On Creative Thinking: Music and the Intuitive Art of Scientific Imagination
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