Un mythe grec toujours d’une grande actualité : le mythe de Procuste


Un ami américain, excellent connaisseur de la littérature sous toutes ses formes, me disait un jour : « à travers les mythes grecs et les pièces de Shakespeare, tous les comportements de l’âme humaine ont été décrits ». Il y a sans doute une grande part de vérité dans son affirmation. Cela explique sans doute pourquoi les mythes grecs autant que les pièces de Shakespeare fascinent les écrivains et les artistes, qui en ont fait d’innombrables adaptations.

Pour tirer parti des mythes grecs, qui ont tant de choses à nous apprendre sur ce que nous sommes, intéressons-nous un moment à un mythe peu connu mais qui mérite bien de l’être, le mythe de Procuste.

Dans la mythologie grecque, Procuste était un brigand qui offrait l’hospitalité aux voyageurs pour les torturer de la manière suivante. Il les attachait sur un lit en fer, où ils devaient tenir exactement : s’ils étaient trop grands, il coupait tout ce qui dépassait ; et s’ils étaient trop petits, il les étirait jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille requise.
Qu’est-ce qui se cache derrière ce mythe qui semble bien horrible ? Procuste est devenu le symbole de l’uniformisation, et renvoie à toute tentative de réduire les hommes à un seul modèle, à une seule façon de penser ou d’agir.

Les exemples de mise en œuvre du mythe de Procuste, à travers l’histoire comme à notre époque, sont innombrables. Que cela soit à travers un système politique, une religion ou la manière d’élever ses enfants, il y a toujours cette tentation de la recherche d’uniformité : imposer à tous le même système politique, la même religion, la même manière de se comporter, d’agir ou de grandir.
Depuis toujours des tyrans, politiques, religieux, économiques, domestiques ou autres, ont tenté d’appliquer le mythe de Procuste autour d’eux, avec souvent des résultats épouvantables.

L’école, de par sa conception-même, est un lieu où le mythe de Procuste fait des ravages : à travers des évaluations standardisées et normées, le Ministère de l’Éducation impose quand et comment les enfants doivent avoir acquis telle ou telle compétence ; et l’enseignant enseignera de la même façon à tous ses élèves et leur proposera le même contrôle – tout cela au nom de l’égalité, inscrit au fronton de nos mairies. Mais on confond là l’égalité et l’uniformité. L’égalité, c’est donner à tout enfant toutes ses chances de réussir à l’école et ensuite de réussir sa vie. L’uniformité, c’est imposer le même système, la même pédagogie, les mêmes attentes des mêmes résultats à tous. Une utopie qui fait des ravages et crée bien des souffrances, comme le faisait Procuste.

Dans le mythe de Procuste, apprendre à marcher donnerait cette injonction officielle : « l’enfant devra savoir marcher à 10 mois, 2 semaines et 3 jours ». Dans la réalité, un enfant apprend à marcher à 9 mois ou à 15 mois, quelle importance ? Taux de réussite de cet apprentissage extrêmement complexe : 100%.

Bruno Hourst

Références
Procuste