Les arts comme remédiation aux difficultés scolaires – Partie 3


Dans deux précédents billets, nous avons montré que le « système d’exploitation » cérébral permettant la réussite à l’école comportait essentiellement sept paramètres principaux, et que la pratique d’activités artistiques modifiait structurellement le cerveau.
Dans ce troisième billet, faisons le lien entre les deux : Quels sont les effets pratiques des activités artistiques sur le « système d’exploitation cérébral orienté école » d’un élève ?

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Il faut d’abord prendre la dimension de l’enjeu : le « système d’exploitation » scolaire, tel que nous l’avons défini dans le premier billet, ne correspond pas à de simples compétences pour étudier : c’est un ensemble de capacités à se concentrer, à capter et à discriminer l’information, à la traiter et à la mémoriser et à s’en servir de manière significative. Lorsqu’il est de bonne qualité, ce « système d’exploitation » non seulement permet de mieux réussir à l’école, mais peut aussi neutraliser des facteurs de risque négatifs tels que des situations familiales difficiles, des traumatismes, des toxines ou une enfance dans un milieu défavorisé ou insalubre !

Par contre, lorsque ce système d’exploitation n’est pas de bonne qualité ou tout simplement pas à la hauteur des contraintes et des exigences de l’école, les élèves auront des difficultés, plus ou moins grandes.
D’où l’importance d’améliorer ce système d’exploitation. Chercher à l’améliorer chez tous les élèves peut même devenir un élément essentiel de la stratégie d’une école pour la réussite scolaire des élèves de milieux défavorisés.

Rappelons les 7 composantes essentielles de ce « système d’exploitation orienté école » :

1. L’effort. Avoir une motivation à long terme et savoir différer la gratification.
2. Les modalités d’entrée des informations, selon le modèle auditif, visuel et kinesthésique.
3. Les modalités de traitement de l’information, selon le modèle des intelligences multiples.
4. L’attention. La capacité à fixer son attention, à se concentrer et à rompre l’attention le moment venu.
5. La mémoire. Développer la mémoire à court terme et la mémoire de travail.
6. Des compétences de séquençage. Comprendre la succession des actions, connaître l’ordre d’un processus.
7. Un état d’esprit. « Je peux le faire ! », qui donne confiance et renforce l’estime de soi.

Voyons maintenant comment les pratiques artistiques peuvent améliorer ces sept éléments, en suivant quelques chercheurs.

Un état d’esprit. Pour réussir à l’école, un enfant a besoin d’avoir la volonté de se confronter aux tâches difficiles et pour cela, il a besoin d’avoir confiance en lui. Les arts fournissent aux élèves des occasions de mettre en valeur leurs compétences, d’être félicités et de monter en confiance. Les élèves peuvent développer un état d’esprit positif et une confiance en eux lorsqu’ils montent sur une scène, participent à des concerts, au tournage d’un film ou à un spectacle de danse. Ces occasions peuvent être progressives pour que l’élève puisse toujours se dire : « Je peux le faire ! ». Et cette démarche modifie le cerveau : c’est ce qu’ont montré les chercheuses québécoises Emma Duerden et Danièle Laverdure-Dupont de l’Université de Montréal dans un article publié dans The Journal of Neuroscience (voir référence 1).

En fait, concernant l’état d’esprit qu’elles provoquent, les pratiques artistiques forment chacune une démarche cohérente, riche et complexe : elles fournissent des situations où les élèves peuvent connaître le succès ; elles développent l’imagination ; elles obligent à se fixer des objectifs positifs et à faire tout ce qu’il faut pour les atteindre ; elles apprennent aux élèves à gérer leur temps, à organiser leur vie ; elles développent la sensibilité, les émotions positives. Les capacités d’optimisme sont puissantes et peuvent être développées : c’est ce qu’a montré Martin Seligman dans ses livres, dont certains sont traduits en français (voir référence 2).

L’effort. La pratique d’activités artistiques développe une motivation à long terme et apprend à différer la gratification. On n’acquière pas des compétences en danse ou dans la pratique d’un instrument instantanément, il y faut des mois et des années de pratique. Cela renforce un sentiment extrêmement important : l’espoir. Dans les pratiques artistiques, l’élève est tiré en avant par le désir de se perfectionner. On y trouve cette combinaison particulièrement puissante de l’effort et du plaisir.

L’attention. Être attentif n’est pas une compétence innée. Il faut de la pratique pour apprendre à se concentrer et à développer son attention.
La chercheuse Merav Ahissar de l’Université de Jérusalem (voir référence 3) a montré que les pratiques artistiques peuvent améliorer la qualité de la perception et développent la sensibilité des sens. Sharon Eldar, de l’Université de Tel-Aviv, a montré (voir référence 4) que les pratiques artistiques développaient particulièrement l’attention.
Les activités artistiques sont particulièrement intéressantes pour les élèves qui ont un déficit d’attention, lié généralement à des problèmes de concentration et d’attention. Au lieu de leur demander plus d’attention en classe, il est bien plus intéressant de construire ces capacités d’attention par la pratique d’activités artistiques.

La mémoire. À l’école, une bonne mémoire n’est pas seulement souhaitable, elle est inestimable. Nous avons tous une bonne mémoire à long terme pour nos « souvenirs de survie » tels que l’endroit où nous vivons et travaillons, et des données hautement comportementales telles que le nom de nos frères et sœurs, parents et numéro de téléphone. L’apprentissage scolaire nécessite à la fois une mémoire à court terme et une mémoire à long terme. Yim-Chi Ho, de l’Université de Hong-Kong, a montré (voir référence 5) que la pratique musicale renforce la mémoire verbale. La danse, elle, renforce la mémoire sonore et kinesthésique. En plus de la danse, la musique peut aussi renforcer la mémoire tactile et auditive, selon Patrick Ragert (voir référence 9).

Concernant la mémoire de travail, la chercheuse américaine Susanne Jaeggi, de l’Université de Californie, a montré (voir référence 6) l’intérêt des arts pour développer « l’intelligence fluide  », qui se réfère à la capacité de raisonner et de résoudre de nouveaux problèmes indépendamment des connaissances acquises précédemment. Elle écrit : « L’intelligence fluide est essentielle pour une grande variété de tâches cognitives et est considérée comme l’un des facteurs les plus importants dans l’apprentissage. De plus, elle est étroitement liée à la réussite professionnelle et éducative, en particulier dans les environnements complexes et exigeants. »

Les modalités d’entrée et de traitement de l’information. Si l’on considère que les informations entrantes sont essentiellement reçues de trois façons (selon le modèle auditif, visuel et kinesthésique) et peuvent être traitées selon huit formes d’intelligence (selon le modèle des intelligences multiples), la pratique des arts combine de manière exceptionnelle toutes ces modalités. La plupart des activités artistiques combinent l’auditif, le visuel et le kinesthésique, et utilisent un grand nombre d’intelligences – la pratique d’un instrument de musique les utilise et les développe toutes.
De nombreuses études, en France comme ailleurs, ont montré que les activités artistiques améliorent les résultats scolaires de manière spectaculaire. Par exemple, la psychologue américaine Elizabeth Spelke a montré (voir référence 7) que la pratique de la musique renforce l’aptitude aux mathématiques et aux sciences. Brian Wandell, de l’Université de Standford, a montré (voir référence 8) le rapport entre activités artistiques et amélioration de la lecture.

Des compétences de séquençage. C’est l’ensemble des compétences qui nous permet de hiérarchiser, d’identifier et de mettre en ordre un ensemble d’actions. Nous en avons besoin en permanence dans la vie de tous les jours – par exemple pour faire la cuisine ou repeindre une chambre. À l’école, les enfants ont besoin de compétences de séquençage pour faire leurs devoirs, écrire un document ou planifier un projet. Ils en ont besoin pour résoudre un problème mathématique ou planifier leur journée. Toute pratique musicale nécessite et développe des compétences de séquençage. De même que l’artiste visuel doit séquencer la pensée, les formes, les proportions, la couleur et le contraste. Et cela est vrai pour toutes les pratiques artistiques.

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Alors, convaincu(e) que les activités artistiques devraient être au cœur de tout système scolaire ? Non seulement elles modifient positivement le cerveau, mais de plus elles renforcent tous les éléments essentiels permettant à un enfant de réussir à l’école. Les activités artistiques sont une ressource exceptionnelle pour construire et améliorer le « système d’exploitation » de l’élève.
Lorsque nous négligeons les activités artistiques – ce qui est le cas dans de nombreuses écoles – nous négligeons une démarche extraordinairement puissante pour favoriser la réussite de tous les élèves, et ceci est abondamment confirmé par la recherche. Reste à mettre cela en musique – c’est-à-dire en action.
Les preuves sont innombrables, corrélées et convergentes.

Bruno Hourst

Références
référence 1 : Practice Makes Cortex
référence 2 : Martin Seligman
référence 3 : Perceptual training : A tool for both modifying the brain and exploring it
référence 4 : Plasticity in attention : Implications for stress response in children
référence 5 : Music Training Improves Verbal but Not Visual Memory : Cross-Sectional and Longitudinal Explorations in Children
référence 6 : Improving fluid intelligence with training on working memory
référence 7 : Effects of music instruction on developing cognitive systems at the foundations of mathematics and science
référence 8 : Training in the arts, reading, and brain Imaging
référence 9 : Superior tactile performance and learning in professional pianists :