Développer une pensée critique – un exemple de vidéo diffusée sur les réseaux sociaux

Dans un précédent billet, je montrais l’importance, tout particulièrement à notre époque, de développer une pensée critique. Les réseaux sociaux, en particulier, nous poussent souvent dans une direction contraire.
Prenons l’exemple d’une vidéo extrêmement virale proposée sur les réseaux, que je vous invite d’abord à regarder. Pour cela, cliquez ici, puis vous pourrez lire la suite de ce billet après la photo ci-dessous.

Vous avez sans doute apprécié la morale de cette vidéo : nous ne prenons pas le temps de voir – ou d’écouter – les belles choses que nous côtoyons tous les jours.
Pourtant, tout est truqué dans cette vidéo ou dans cette histoire :

  • On ne voit pas le violoniste célèbre jouer, mais des images floues. On imagine son agent s’opposant formellement à une vidéo où on le voit jouer dans le métro. Les images proposées sont donc probablement d’une autre origine, ce qui explique le flou et l’accéléré.
  • la musique est truquée : c’est un extrait des 4 saisons de Vivaldi, une musique connue de tous, un tube que l’on passe volontiers sur Radio Classique entre deux pages de publicité.
  • La vraie musique jouée par le violoniste célèbre, les 6 partitas pour violon seul de Bach, sont sans doute « the best music ever written », mais d’un abord particulièrement difficile, ce qui explique que l’on ne l’entende pas dans la vidéo. Je ne sais quelle est la proportion de personnes vraiment touchées par cette musique, mais elle doit être extrêmement faible. Écoutez ces partitas. Elles sont effectivement magnifiques, mais ne s’adressent qu’à un public averti qui a pris le temps de les découvrir. L’expérience aurait sans doute tourné différemment si le musicien avait joué une musique plus abordable.
  • Mettre en comparaison une salle de concert et un couloir de métro est malhonnête : on va volontairement dans une salle de concert pour écouter la musique que l’on a choisie, alors que le couloir de métro n’est qu’un lieu de passage obligé.
  • Les enfants sont fascinés non par la musique (comme la vidéo veut nous le faire croire), mais par le musicien en train de jouer. Car voir en vrai un musicien, sans doute pour la plupart des enfants, est quelque chose de totalement nouveau. La curiosité est un moteur extrêmement puissant chez les enfants. Donc ce n’est pas la beauté de la musique à laquelle ils sont sensibles (sauf si un nouveau Glenn Gould enfant passait par là), mais par la curiosité.

Lorsque l’on applique une pensée critique à quelque chose supposé transmettre un message moral positif, comme dans cette vidéo, on est pris dans un dilemme : oui, c’est vrai, nous passons en permanence à côté de belles choses que nous ne savons pas voir, nous vivons comme des somnambules marchant dans le brouillard ; et d’un autre côté, nous sommes manipulés pour en arriver à cette conclusion, d’une manière que l’on rencontre couramment sur les réseaux sociaux :

  • on déclenche chez nous une émotion d’une manière artificielle et truquée ;
  • nous voyons la vidéo, nous « likons » sans réfléchir plus loin – nous faisons en fait comme les personnes pressées du métro new-yorkais qui lancent un dollar dans l’étui à violon ;
  • nous ne prenons pas le temps d’analyser l’émotion qui est créée en nous, et comment elle a surgi en nous ;
  • nous ne prenons aucune décision quant à la mise en application réelle de cette émotion : qu’allons-nous faire aujourd’hui pour être plus attentifs à la beauté que nous rencontrons ? ;
  • ce qui nous conduit globalement à un appauvrissement de notre pensée et de notre réflexion.

Que faire alors ? Peut-être revenir aux textes des grands penseurs, qui nous font réfléchir sans nous manipuler. Ou être plus attentifs aux informations que nous recevons et plus conscients de la manière dont elles agissent sur nous.

Bruno Hourst