Dans un précédent billet, je vous ai présenté Eric Barker et son blog (en anglais) qui inspire certains des billets que je vous propose. Son but affiché est d’apporter des réponses scientifiques et des conseils d’experts sur la façon de vivre à peu près bien sa vie. Et en ce printemps 2020, vivre à peu près bien sa vie signifie survivre (psychologiquement autant que physiquement) à la pandémie de COVID-19.
Dans ce précédent billet,je vous ai proposé l’idée d’Eric Barker : lancer une pandémie d’émotions positives pour garder le moral pour la bataille en cours, « combattre le feu par le feu ».
Voici quelques extraits d’un autre de ses articles, toujours tirant parti de l’actualité en ce printemps 2020, pour développer une résistance mentale à la situation exceptionnelle que nous vivons – et toujours en s’appuyant sur les travaux de chercheurs reconnus et d’experts.
1. L’échelle de calamités humaines de Foster
« L’échelle de calamités humaines de Foster » (d’après le nom du géographe canadien Robert Foster) est une sorte d’échelle de Richter pour les catastrophes historiques. Cette échelle de Foster fait débat parmi les spécialistes, mais l’idée est intéressante. Selon Foster, une calamité humaine ne doit pas seulement être considérée selon le nombre de morts qu’elle fait, mais également en tenant compte des dommages et du stress émotionnel qu’elle crée.
Selon cette échelle, la Seconde Guerre mondiale a été l’événement le plus désastreux de l’histoire de l’humanité avec un score de 11,1. La Peste Noire se classe en deuxième position avec 10,9 et la Première Guerre mondiale en troisième position avec 10,5.
Le taux de mortalité global du COVID-19 fait l’objet de débats, mais il est toujours à un chiffre, voire à une décimale.
2. Leçons de la Peste noire
La peste bubonique au Moyen-Age a eu un taux de mortalité de 60 %. En tenant compte de la croissance démographique des 700 dernières années, si la peste noire survenait aujourd’hui, elle tuerait 1,9 milliard de personnes.
Entre 1347 et 1352, elle a tué un tiers de l’Europe. Une population de 75 millions de personnes est passée à 50 millions de personnes en 5 ans. Bien sûr, les décès n’ont pas été répartis de manière égale. L’Angleterre se trouvait dans le haut avec un taux de mortalité d’environ 50 %. La moitié de sa population a disparu – en deux années seulement.
A l’époque, on n’avait que des explications surnaturelles pour expliquer la peste noire. Beaucoup disaient que c’était la colère de Dieu. La communauté médicale de Paris a estimé, elle, que la peste était due à « une conjonction inhabituelle de Saturne, Mars et Jupiter à une heure de l’après-midi le 20 mars 1345 ». D’autres l’ont attribuée à des vampires…
Cela peut nous faire sourire, mais mettons-nous à leur place : comment faire pour vous empêcher de mourir de quelque chose que vous ne comprenez pas, que vous ne pouvez pas expliquer ?
Pourtant, dans ces pandémies terrifiantes et inexplicables, une ville se démarquait. Une ville a lutté contre le fléau avec un esprit remarquable de résistance, de pensée scientifique et d’innovation : Venise.
Cette ville insulaire, grand carrefour commercial, était rapidement devenue l’épicentre de la peste en Europe. 60 % de la population en est morte. Mais les Vénitiens ont réagi. Ils ne comprenaient pas mieux que quiconque la cause de la peste. Rien ne pouvait la guérir. Alors ils se sont concentrés sur la résilience. On ne peut pas arrêter l’ouragan, mais on peut faire en sorte que l’arbre se plie au vent et se relève.
Ils ont rigoureusement étudié ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas, ont innové et ont créé des pratiques de résilience qui sont encore étudiées aujourd’hui.
Par exemple, ils avaient observé que la Croatie, en empêchant les navires étrangers d’accoster pendant 30 jours, avait obtenu un certain succès dans la lutte contre la peste noire. Venise a étendu le temps d’exclusion à 40 jours – ils ont créé le terme de quarantaine. Et la médecine moderne a découvert que le temps nécessaire à la peste bubonique pour passer de l’infection à la mort est de 37 jours…
Au cours des siècles suivants, Venise et ses îles Ioniennes n’ont connu que des récidives mineures de la peste, tandis que la Grèce et une grande partie de l’Europe du Sud ont continué à lutter contre des épidémies majeures tout au long des années 1500 et 1600.
COVID-19 n’est pas la peste noire – Dieu merci. Mais nous pouvons apprendre quelque chose de l’esprit de résilience vénitien. Comment conserver la force mentale nécessaire pour continuer à avancer quand les temps sont difficiles ?
Et nous avons maintenant accès à de meilleures données que les Vénitiens. De nombreuses études ont été faites en interrogeant des survivants de catastrophes et des militaires appartenant aux forces spéciales, entraînés à vivre des situations exceptionnelles. Nous pouvons en tirer quelques leçons de vie pour nous permettre de vivre – et éventuellement de survivre – à la pandémie en cours.
Voici cinq pistes pour renforcer notre résilience, en nous appuyant particulièrement sur le livre de Steven Southwick et Dennis Charney : Resilience: The Science of Mastering Life’s Greatest Challenges (La résilience : La science de la maîtrise des plus grands défis de la vie).
3. Cinq pistes pour renforcer notre résilience
3.1 Le dialogue intérieur positif
Steven Southwick et Dennis Charney ont étudié des personnes résilientes pendant plus de 20 ans. Ils ont interviewé des prisonniers de guerre vietnamiens, des instructeurs des forces spéciales et des civils qui ont vécu des expériences et des traumatismes terribles. Et quelle est l’une des choses qui a permis à tous ces survivants de continuer à vivre ? L’optimisme.
Mais comment pouvons-nous rester optimistes quand les informations nous donnent des statistiques de décès 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ? Eh bien, c’est l’affaire de cette petite voix qui parle dans notre tête.
Pour rester fort pendant cette période difficile, réfléchissez un peu plus à ce que vous vous dites à vous-même. Et rendez-le positif. Un discours positif peut nous aider à garder notre cerveau stable.
3.2 La forme physique
Les recherches de Southwick et Charney ont montré à maintes reprises que les personnes les plus résilientes avaient de bonnes habitudes d’exercice physique qui leur permettaient de garder un corps fort. Le stress de l’exercice physique nous aide à nous adapter au stress que nous ressentirons lorsque la vie nous mettra face à un défi.
Et l’exercice physique renforce puissamment notre mental. Nous savons que nous serons capables de traverser au mieux des difficultés à venir.
Même en quarantaine, nous pouvons entretenir et développer notre forme physique, de nombreux sites Internet proposent de nous y aider.
3.3 Transformer cela en jeu
Vous souvenez-vous de ce film La vie est belle de Roberto Benigni ? – à ne pas confondre avec le merveilleux film éponyme de Frank Capra de 1946. Dans ce film, Guido et son fils sont déportés dans un camp de concentration allemand. Guido veut tout faire pour éviter l’horreur à son fils. Il lui fait croire que les occupations dans le camp sont en réalité un jeu dont le but serait de gagner un char d’assaut, un vrai.
Quel est un autre des points communs entre les personnes qui ont vécus des catastrophes ? Elles font de la survie un jeu. Elles considèrent les problèmes comme des défis et non comme des menaces. D’ailleurs, il est bien connu que les enfants réussissent mieux à l’école quand l’enseignement ressemble à un jeu.
Il faut se rendre à l’évidence : en ce moment, les choses ressemblent beaucoup plus à de la science-fiction qu’à la vie de tous les jours. Alors faisons avec. Quand le jeu est difficile, nous n’abandonnons pas, nous continuons à jouer.
Arrêtons de voir les défis que nous rencontrons comme des inconvénients et voyons-les comme des défis à relever dans un jeu vidéo. Vous n’êtes pas coincé à la maison : vous bravez les étendues sauvages d’un paysage post-apocalyptique afin d’acquérir des provisions vitales.
Cela semble idiot. Mais ça marche. Considérons nos contraintes et nos listes de tâches comme des niveaux de jeu et donnons-nous des récompenses pour débloquer le niveau suivant.
3.4 Pratiquer abondamment l’humour
On imagine les spécialistes des Forces Spéciales particulièrement sérieux. Bien entendu ils savent être sérieux quand il le faut, mais ils disent tous qu’il y a quelque chose qui les aide à faire face aux moments les plus difficiles : le rire.
Southwick et Charney écrivent dans leur livre :Il existe des preuves substantielles de l’efficacité de l’humour comme mécanisme d’adaptation. Des études impliquant des anciens combattants, des patients atteints de cancer et des patients ayant subi une intervention chirurgicale ont montré que lorsque l’humour est utilisé pour réduire la nature menaçante de situations stressantes, il est associé à la résilience et à la capacité de tolérer le stress. Donc ne vous sentez pas coupable de regarder des vidéos drôles sur le Net – et il en fleurit tous les jours concernant la pandémie en cours. Si l’on vous accuse de manquer de sérieux, expliquez que c’est un élément essentiel de votre système de résilience néo-vénitien. Et si l’on vous demande ce que c’est, riez.
3.5 Mettre en action notre système de valeurs
Quelle est la chose la plus essentielle qu’ont trouvée les chercheurs en étudiant les personnes qui ont triomphé d’une tragédie ? La croyance religieuse.
Mais qu’en est-il si vous n’êtes pas religieux ? Pas de problème. Lorsque nous examinons un large éventail d’études, on constate que ce qui compte, c’est une forme de sens que l’on donne à la vie. Et le plus souvent, cela prend la forme d’un lien profond avec les autres.
Les personnes émotionnellement résistantes que Southwick et Charney ont étudiées, bien que se trouvant dans des situations qui pouvaient menacer leur vie, pensaient toujours aux autres, et pas seulement à elles-mêmes. L’altruisme, le désintéressement, le souci du bien-être d’autrui était souvent un pilier de leur système de valeurs, de leur « boussole morale ».
Dans son livre Deep Survival: Who Lives, Who Dies, and Why: True Stories of Miraculous Endurance and Sudden Death (Les clés de la survie : qui vit, qui meurt et pourquoi – vraies histoires d’endurance miraculeuse et de mort subite) le journaliste Laurence Gonzales écrit :
Aider quelqu’un d’autre est le meilleur moyen d’assurer sa propre survie. Cela vous fait sortir de vous-même et vous aide à surmonter vos peurs. Vous êtes alors un sauveteur, pas une victime. Et voir comment votre leadership et vos compétences soutiennent les autres vous donne plus de concentration et d’énergie pour persévérer. Le cycle se renforce lui-même : Vous les soutenez, et leur réponse vous soutient. De nombreuses personnes qui ont survécu seules rapportent qu’elles le faisaient pour quelqu’un d’autre (une femme, un petit ami, une mère, un fils) qui les attendaient.
La distanciation physique est importante en ce moment pour prévenir la propagation du virus. Mais nous devons rester aussi proches que possible sur le plan social.
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Bon, chers compatriotes néo-vénitiens, il est temps de faire un résumé en cinq points pour être plus résistants et plus résilients :
- Un discours positif avec soi-même : quand vous vous parlez, assurez-vous d’être gentil avec vous.
- La forme physique : faites subir à votre corps un peu de stress chaque jour et il supportera d’autant mieux les éventuels grands stress à venir.
- Transformez cela en jeu : si les obstacles dans la vie nous donnent envie d’arrêter, les jeux nous poussent à continuer à jouer jusqu’à ce que nous gagnions. Alors, faisons de la vie un jeu.
- Pratiquez l’humour : lancez-vous le défi de rire au moins une fois par jour.
- Libérez l’altruiste qui est en vous – l’altruisme est inscrit dans nos gènes. .
Et merci à Eric Barker.
Bruno Hourst
Ressources
The Black Death and Western European Eschatological Mentalities
Resilience: The Science of Mastering Life’s Greatest Challenges
Deep Survival: Who Lives, Who Dies, and Why: True Stories of Miraculous Endurance and Sudden Death