Tout le monde parle de « changement », de « mutation », de « transformation », d’« évolution ». De plus en plus de peuples et de citoyens descendent dans la rue pour demander « que cela change ». Mais de quel changement s’agit-il ? Remplacer un homme politique par un autre homme politique ? Changer les comportements ? Changer de régime ou de modèle économique ? Ceux qui réclament un « vrai » changement, que réclament-ils vraiment ?
Faute d’avoir une idée claire de ce changement souhaité, on se rabat souvent sur une demande d’argent : plus de « pouvoir d’achat », plus de moyens pour les enseignants, plus de personnels dans l’administration ou la santé. Mais est-ce là le changement qui est vraiment au cœur des demandes de ces citoyens qui n’hésitent plus à descendre dans la rue, parfois au péril de leur vie ?
Pour creuser la question, il est intéressant de (re)lire un petit livre de Paul Watzlawick, merveilleux d’intelligence et d’humour, intitulé Changements. Le premier chapitre, qui donne un cadre conceptuel à ce qui suivra ensuite, est assez ardu. Ce cadre conceptuel est basé sur la théorie des groupes d’Évariste Gallois. Mais c’est dans ce chapitre que Paul Watzlawick définit l’idée-clé de son approche : savoir distinguer le « changement 1 » du « changement 2 ».
Le changement 1 a les apparences du changement mais ne change finalement rien. Il a lieu à l’intérieur d’un système donné qui reste, lui, inchangé. Selon l’expression bien connue : « Plus ça change, plus c’est la même chose ». Le changement 2, lui, modifie le système lui-même.
Prenons quelques exemples.
- Vous êtes en voiture à boîte manuelle. Vous passez en première et vous accélérez. La vitesse change, mais vous êtes toujours en première (changement 1). Si vous passez en seconde, vous faites un changement 2.
- Vous jouez à la belote simple et vous décidez, avec vos partenaires, de jouer à la belote coinchée. Les règles changent, mais vous jouez toujours à la belote (changement 1). Si vous décidez de jouer à un autre jeu, au tarot par exemple, cela pourra être considéré comme un changement 2 à un certain niveau (vous jouez à un autre jeu que la belote simple) ou comme un changement 1 (vous continuez à jouer aux cartes, un changement 2 serait alors, par exemple, de jouer aux échecs).
- Vous êtes ministre de l’Éducation nationale et vous décidez de changer la formation des enseignants. Vous modifiez les IUFM en ESPE (changement 1). Ou bien – exemple imaginaire – vous introduisez dans la formation des enseignants la nécessité d’être supervisé (changement 2).
Je suis sûr que vous pourriez facilement trouver d’autres exemples.
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Revenons aux citoyens qui descendent dans la rue pour demander un changement. Ce qu’ils demandent, sans forcément réussir à l’exprimer, c’est souvent un changement 2. Si les personnes au pouvoir leur répondent avec des mesures qui ne conduisent qu’à un changement 1, ils se sentiront incompris et continueront à manifester.
Mais, comme on l’a vu dans le deuxième exemple ci-dessus, la distinction entre changement 1 et changement 2 peut être difficile, en pratique, à déterminer. Et la tentation des personnes au pouvoir sera de jouer sur cette confusion, de prendre des mesures qui ont l’apparence du changement mais qui ne changent rien : de proposer un « changement 1 ».
Là où l’affaire se complique encore, c’est qu’un changement 1, en réponse à une demande de changement 2, non seulement n’amène pas à la modification recherchée, mais, bien souvent, aggrave le problème. C’est ce que développe ensuite Paul Watzlawick : la « solution » ne résout rien, et elle fait empirer le problème. On constate souvent, en particulier, une escalade entre les parties concernées. Et c’est finalement cette « solution » qui devient le problème. Je suis sûr, encore une fois, que des exemples vous viennent à l’esprit.
Alors, comment créer du « changement 2 » ? Paul Watzlawick constate que ce sont souvent des micro-changements et des comportements paradoxaux qui sont les plus efficaces pour éviter que la « solution » devienne le problème. Cela demande de la réflexion, de l’intelligence, de l’intuition. Cela nécessite de sortir du cadre car on va, en général, aller à l’encontre du bon sens et des recettes ordinaires, comme par exemple donner un peu d’argent, jouer le pourrissement ou réprimer.
Aller « out of the box » est devenu un mantra à la mode de nombreuses personnes qui se croient à la pointe de la pensée de notre époque. Faut-il que cette « sortie de la boîte » soit un changement 2. Bien souvent, nous croyons être sorti de la boîte mais nous sommes toujours dans la même boîte, un peu différente et parfois bien plus rigide, dont il est encore plus difficile qu’avant de sortir…
(Re)lisons Watzlawick, cela nous sera utile autant dans notre vie privée que dans notre vie professionnelle, dans le champ social comme dans le champ politique.
Bruno Hourst
Ressources
Changements, Éditions du Seuil, 1975, 2014