Que pensent les chercheurs du multitâche ?

Le multitasking –  le multitâche – fait débat et se résume souvent, pour beaucoup de gens, à la conclusion suivante : les autres sont peut-être mauvais en multitâche, mais pas de problème pour moi, qui peut faire plusieurs choses à la fois sans problème. Il y a également tout un argumentaire, souvent entendu, soulignant que notre époque nécessite du multitâche pour optimiser l’efficacité et la productivité à chaque instant. En bref : que c’est peut-être un mal, mais un mal nécessaire.

Qu’est-ce que le multitâche ? C’est lorsque nous essayons d’effectuer deux tâches simultanément, en basculant d’une tâche à l’autre, ou lorsque nous traitons deux ou plusieurs tâches en succession rapide. Pour déterminer les coûts de ce type de « jonglage » mental, les chercheurs (en général des psychologues) comparent le temps qu’il faut pour tout faire, tout en mesurant le temps pour changer de tâche. Ils prennent en compte également la complexité ou la familiarité des tâches dans la mesure du temps de commutation entre les tâches.

Dans ces recherches, ils ont relevé plusieurs choses.

1. Nous ne pouvons effectuer plusieurs tâches simultanément que :

  • si elles sont complètement automatisées et ne nécessitent aucune réflexion, comme marcher ou manger ;
  • si les tâches exécutées impliquent des processus cérébraux différenciés. Par exemple, on peut lire un livre tout en écoutant de la musique classique instrumentale, mais lire (et retenir ce que l’on lit) sera beaucoup plus difficile si l’on écoute en même temps de la musique avec des paroles, car ces deux tâches activent le même centre linguistique dans le cerveau, et le cerveau ne peut pas traiter plus d’une tâche dans une catégorie donnée à la fois.


2. Ce qui nous semble du multitâche n’est en fait qu’un basculement rapide et permanent d’une tâche à une autre. Quand vous lisez vos e-mails, parlez au téléphone et tchatez sur Messenger en même temps, vous pensez faire tout cela en synchronisé mais c’est littéralement impossible. Votre cerveau n’en est pas capable. Il ne fait que changer de tâche en permanence et très rapidement. Les psychologues parlent de « tâches en série » et non de multitâche.


3. On peut arguer que, certes, notre cerveau n’est pas capable, stricto sensu, de mener plusieurs tâches simultanément, mais que le fait de basculer rapidement entre plusieurs tâches est très efficace.

Certaines recherches convaincantes de l’American Psychological Association montrent que lorsque l’on passe d’une tâche à une autre, la transition n’est pas fluide. Il y a un temps de latence lorsque notre cerveau déplace son attention d’une tâche à l’autre. Et même si l’on a l’impression que ce changement est instantané, en fait cela prend du temps. Les recherches ont montré que le multitâche prend jusqu’à 40% de temps en plus que de se concentrer sur une tâche à la fois – et davantage lorsque les tâches complexes. Ce temps de latence peut avoir des conséquences dramatiques dans certaines situations, comme par exemple pour un conducteur concentré sur une communication téléphonique et devant agir instantanément pour éviter un accident.

4. La charge cognitive nécessaire pour reconfigurer les paramètres de contrôle pour une nouvelle tâche peut être importante : il faut désactiver les règles que nous utilisions pour la tâche précédente et activer de nouvelles règles pour la tâche suivante – d’où une surcharge cognitive importante.

5. Une étude menée par l’Université de Stanford a montré que ceux qui se considèrent comme de grands experts en multitâche font plus d’erreurs, se souviennent de moins de détails et prennent plus de temps pour terminer leurs tâches que ceux qui font une tâche à la fois. En résumé, se concentrer sur une seule chose, plutôt que de zapper entre plusieurs tâches, permet un travail de meilleure qualité.

Si l’on suit les résultats de ces études, que faire en pratique ? Il s’agit d’établir une discipline personnelle : fixer des moments pour consulter ses e-mails, utiliser les réseaux sociaux ou passer ses appels téléphoniques. Et ne passer à la tâche suivante que lorsque l’on a épuisé la précédente. Vous pouvez relire le billet La technologie nous distrait : quelques conseils pour récupérer nos facultés d’attention, qui donne des pistes pratiques d’action.

Nous tentons également de faire du multitâche ailleurs qu’au travail, évidemment, avec les mêmes mauvais résultats. En voyant – par exemple – une mère promener son enfant dans sa poussette tout en utilisant indéfiniment son smartphone, je me dis qu’il y a quelque chose de dommage pour l’enfant dans sa poussette, tout autant que pour la mère d’ailleurs.

Bruno Hourst

Ressources

Multitasking: Switching costs

Why Multitasking Is a Myth That’s Breaking Your Brain and Wasting Your Time