Comment la solitude affecte le cerveau


Le professeur américain John Cacioppo et sa femme Stephanie étudient les effets et les causes de la solitude depuis plus de 20 ans. John Cacioppo est directeur du Center for Cognitive and Social Neuroscience de l’Université de Chicago.
Selon lui, la solitude est contagieuse, affecte une personne sur quatre – et augmente les chances de mort prématurée de 20%.
Au début des années 90, il a commencé à explorer un nouveau domaine qu’il a appelé « neurosciences sociales », l’étude des mécanismes neuronaux au sein d’une espèce sociale définie – domaine peu ou pas étudié à l’époque par les neurosciences. Les espèces sociales sont celles qui créent des liens stables, qui ont des sociétés et des cultures.
Il a considéré que le cerveau jouait un rôle essentiel pour créer et maintenir les liens sociaux. Et pour mieux explorer ce domaine des « neurosciences sociales », il a étudié l’absence de liens sociaux, c’est-à-dire la solitude. Il a distingué l’isolement objectif et l’isolement perçu (on peut avoir des liens sociaux, mais ne pas avoir l’impression de les avoir). Et c’est cet isolement perçu que nous appelons la solitude.

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Dans une étude publiée dans la revue Cortex, le couple Cacioppo et leur collègue Stephen Balogh ont cherché à explorer les différences entre le cerveau des personnes solitaires et celui des personnes non-solitaires, en particulier sur le point de la perception des menaces sociales et non-sociales. Un questionnaire sur la solitude a été distribué à 38 personnes très solitaires et à 32 personnes qui ne se sentaient pas seules. Pour l’étude, la solitude a été définie comme le sentiment subjectif d’isolement par opposition au nombre d’amis ou de proches parents d’une personne.

Aux résultats, le cerveau des personnes solitaires diffère de celui des personnes non-solitaires, car les régions du cerveau qui sont liées à la vigilance deviennent plus actives dans les interactions sociales. La solitude amène notre cerveau à devenir plus attentif aux menaces et aux dangers possibles venant de personnes étrangères à notre environnement familier, et plus défensif face à un danger social supposé, même quand il n’existe pas réellement.
Cette étude confirme des recherches antérieures, qui ont montré que l’activité cérébrale chez les personnes seules est liée à l’auto-préservation.

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La solitude pousse également à la marginalisation. Le Professeur John Cacioppo précise :
« Nous avons détecté un mode de contagion extraordinaire qui pousse les gens à se retrouver au bord du réseau social quand ils se sentent seuls. Lorsqu’ils sont à la périphérie du réseau social, les gens ont moins d’amis, et leur solitude les conduit à perdre les rares liens qui leur restent.
Ces effets de renforcement signifient que notre tissu social peut s’effilocher sur les bords, comme un brin de laine que l’on tire et qui effiloche tout le chandail. »

La solitude, en effet, est contagieuse, selon un processus étonnamment simple, comme l’explique John Cacioppo : « Imaginons que vous et moi sommes voisins. Je suis devenu solitaire pour une raison quelconque et vous êtes mon ami. En tant que personne soudainement solitaire, je crains de perdre votre amitié. Mes comportements seront alors plus prudents, plus défensifs, donc j’aurai des réactions sociales plutôt négatives envers vous. Et au bout de trois ou quatre ans, nous sommes plus susceptibles d’arrêter d’être amis. C’est donc un confident de moins que nous avons, vous comme moi. Et cela ne s’arrête pas là : parce que vous interagissez moins bien avec moi en tant que voisin, vous êtes plus susceptible d’interagir négativement avec d’autres personnes, par exemple dans votre travail. Et ainsi de suite. »

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En tant qu’êtres humains, nous nous appuyons d’une manière naturelle sur les connexions sociales. Cependant, on peut avoir un grand nombre d’amis sur Facebook ou de followers sur Twitter tout en ayant le sentiment d’être seul, et tomber dans l’isolement social. S’entourer d’autres personnes et développer des relations étroites nous aide à vivre une vie plus heureuse et plus saine.
En particulier, selon John Cacioppo, avoir au moins un confident – une personne à qui nous pouvons nous confier – permet de contrer ce sentiment de solitude, car cela modifie la chimie du cerveau. Mais un thérapeute ne peut pas jouer ce rôle : il faut que le partage soit réciproque pour contrer ce sentiment de solitude.
La solitude – à distinguer du fait d’être solitaire, qui est un trait de caractère – va à l’encontre de la vie naturelle d’un être humain, qui appartient par essence à une espèce sociale. Les causes sociologiques de la solitude sont nombreuses, et tiennent pour beaucoup à l’évolution de notre mode de vie actuel. C’est non seulement dommage, mais cela peut être dangereux.

Bruno Hourst

Références
The Science of Loneliness : Lonely People’s Brains Perceive Social Threats Differently Than Everyone Else
John Cacioppo : ‘Loneliness is like an iceberg – it goes deeper than we can see’
How Loneliness Affects Your Brain