Peter Arkle est un illustrateur new-yorkais réputé. A l’occasion, il donne des cours et anime des séminaires de recherche. Quelque peu agacé par la marée de personnes prenant des notes sur leur ordinateur portable ou leur tablette, il a décidé d’interdire toutes ces machines électroniques lorsqu’il enseigne, et a creusé le sujet à la fois en mots et – évidemment – en image.
Voici d’abord sa vision en image du problème.
Suivons l’argumentaire de Peter Arkle.
Un nombre croissant de recherches montrent que, dans l’ensemble, les étudiants apprennent moins bien lorsqu’ils utilisent un ordinateur ou une tablette pendant les cours. Ils ont également de moins bonnes notes. Les recherches sont sans équivoque : les ordinateurs portables distraient de l’apprentissage, à la fois les utilisateurs et ceux qui les entourent. Cela est également vrai dans les classes de secondaire. Et cela nuit aussi à la productivité des réunions, dans tous les types de lieux de travail.
Mesurer l’effet des ordinateurs portables sur l’apprentissage n’est pas simple, car chacun l’utilise d’une manière différente. L’étudiant sérieux pourra l’utiliser pour prendre des notes sérieusement, tandis que l’élève dissipé l’utilisera autrement, quand il s’ennuie. Si l’on compare uniquement les performances, on peut confondre l’utilisation qui est faite des ordinateurs portables et les caractéristiques des étudiants qui choisissent de les utiliser. Les chercheurs appellent cela le « biais de sélection ».
Pour éviter ce biais, dans une série d’expériences à l’Université de Princeton et à l’Université de Californie à Los Angeles, les chercheurs, pendant une conférence, ont désigné de manière aléatoire les étudiants qui utiliseraient leur ordinateurs et ceux qui prendraient des notes manuscrites. Aux résultats, mesurés par un test standardisé, ceux qui avaient utilisé leur ordinateur portable avaient globalement une bien moins bonne compréhension de la conférence que ceux qui n’en utilisaient pas.
Pour expliquer cela, les chercheurs ont émis l’hypothèse suivante : comme les étudiants peuvent taper plus vite qu’ils ne peuvent écrire, les mots du conférencier ont coulé directement de leurs oreilles vers leurs doigts, sans s’arrêter dans leur cerveau pour un traitement de fond – voir l’image de Peter Arkle. Par contre, les élèves qui écrivaient à la main devaient traiter et condenser ce qu’ils entendaient, pour permettre à leur stylo de suivre le cours. Et effectivement, les notes des utilisateurs d’ordinateur ressemblaient plus à des transcriptions qu’à des résumés de cours. Les versions manuscrites étaient plus succinctes mais comportaient les éléments importants de la conférence.
Même avec ces preuves, il peut sembler difficile d’interdire l’usage d’ordinateurs dans une salle de cours. La plupart des étudiants sont des adultes : au nom de quoi leur interdire de choisir d’utiliser un ordinateur ?
Un argument de poids pour interdire les machines électroniques est que l’utilisation d’un ordinateur portable par un étudiant nuit à la qualité de l’apprentissage des étudiants autour d’eux. Dans une série d’expériences, des chercheurs de l’Université York et de l’Université McMaster au Canada ont testé l’effet des ordinateurs portables sur les étudiants qui étaient à proximité. Certains étudiants ont été invités à effectuer de petites tâches sur leur ordinateurs sans rapport avec la conférence, comme faire des recherches sur Internet. Comme prévu, ces étudiants ont moins bien retenu le cours. Mais l’apprentissage des étudiants assis près des utilisateurs d’ordinateurs a également été affecté négativement.
En économie, on appelle ça une « externalité négative », qui se produit lorsque l’action d’une personne nuit au bien-être des autres. L’externalité négative classique est la pollution : une usine brûlant du charbon ou une voiture utilisant de l’essence peut nuire à l’air et à l’environnement de ceux qui vivent à proximité. Un ordinateur portable peut être une forme de pollution visuelle et détourner l’attention de ceux qui ne l’utilisent pas.
Bon, mais ce ne sont que des expérimentations de chercheurs : qu’en est-il dans une vraie salle de cours, sur le long terme ? Une autre étude a été conduite dans ce sens.
À l’Académie militaire américaine de West Point, une équipe de professeurs a étudié l’utilisation des ordinateurs portables dans un cours d’introduction à l’économie. Le cours a été enseigné à trois petits groupes auxquels les chercheurs ont imposé aléatoirement l’une des trois conditions suivantes : ordinateurs autorisés, ordinateurs interdits, tablettes autorisées mais à condition d’être posées à plat sur la table, pour que le professeur puisse surveiller leur utilisation. À la fin du semestre, les étudiants dans les salles de cours équipées d’ordinateurs portables ou de tablettes avaient obtenu des résultats sensiblement inférieurs à ceux qui étudiaient dans la salle où tout appareil électronique était interdit.
Bon, mais est-ce qu’étudier des cadets militaires donne des résultats pertinents pour d’autres types d’étudiants, par exemple ceux qui étudient Shakespeare à l’université ? Réfléchissons : à West Point, l’enseignement se fait à des petits groupes et les cadets sont très motivés à réussir, car leur future affectation dépendra de leur rang de sortie. Donc l’influence de l’utilisation ou non d’un ordinateur devrait être négligeable – ce qui n’est pourtant pas le cas.
Même si l’on peut souhaiter des études complémentaires sur un plus grand nombre d’universités, ou de salles de réunion, ou de lieux de formation, le faisceau de preuves actuel semble suffisant pour pouvoir légitimement interdire – quand on est enseignant – ou déconseiller la prise de notes avec un appareil électronique.
Il y a pourtant une exception majeure : les élèves ayant certains troubles d’apprentissage peuvent grandement tirer parti de l’utilisation d’un appareil électronique, et on peut bien entendu les autoriser à les utiliser en cours.
Si des étudiants objectent qu’une interdiction d’ordinateur portable les empêche de stocker des notes sur leurs ordinateurs, vous pouvez vous extasier sur leur smartphone qui peut prendre des photos de pages manuscrites et les convertir en format électronique. Vous pouvez aussi leur suggérer de taper leurs propres notes manuscrites, un processus qui améliore grandement l’apprentissage.
En résumé, il semble établi que la prise de notes avec un appareil électronique diminue la qualité de l’apprentissage, que cela soit à l’université, au lycée ou dans une réunion.
Reste un problème, qui a fait l’objet d’un autre billet : aux États-Unis, depuis 2015, l’apprentissage de l’écriture cursive en primaire n’est plus obligatoire dans la plupart des États…
Références
Laptops Are Great. But Not During a Lecture or a Meeting
The Pen Is Mightier Than the Keyboard : Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking
Laptop multitasking hinders classroom learning for both users and nearby peers
The impact of computer usage on academic performance : Evidence from a randomized trial at the United States Military Academy