Le nourrisson et la logique aristotélicienne


Le nourrisson n’a pas fini de nous surprendre. Dans un précédent billet, nous avons vu qu’il savait naturellement danser. Des chercheurs ont montré qu’il avait aussi une capacité à avoir des raisonnements logiques avant même de savoir parler. Il est capable d’avoir le type de raisonnement qui fonde la logique aristotélicienne : si A ou B est vrai et que A est faux, alors B doit être vrai – ce que les philosophes appellent un syllogisme disjonctif, syllogisme d’ailleurs mis à mal dans la physique quantique.

Une équipe européenne de chercheurs, dirigée par l’Espagnol Nicoló Cesana-Arlotti de l’Université Johns Hopkins (États-Unis), a étudié des nourrissons de 12 et 19 mois. C’est l’âge où commence l’apprentissage du langage, mais où il est loin d’être maîtrisé.
Pour observer les nourrissons, les chercheurs ont utilisé la technique de l’eye-tracking, qui sert couramment pour évaluer les capacités mentales chez les jeunes enfants et chez les singes. Ils ont également utilisé la dilatation de la pupille, phénomène que l’on constate chez les adultes faisant face à des problèmes de logique.

Les enfants devaient observer des objets distincts à plusieurs reprises : un dinosaure et une fleur. Les deux objets étaient initialement cachés chacun derrière un panneau noir. Le nourrisson ramassait le dinosaure et l’autre panneau était ensuite enlevé pour révéler – comme prévu – la fleur restante. Mais parfois un deuxième dinosaure était présenté aux bébés, et non la fleur.
Dans ce cas, les enfants ont déduit que quelque chose n’allait pas – même s’ils étaient incapables de l’exprimer verbalement. Ils regardaient plus longtemps et de manière significative les objets inattendus lorsqu’ils surgissaient (ce que mesurait l’eye-tracking), suggérant qu’ils étaient confus par ce qu’ils voyaient. Et leur pupille se dilatait, montrant qu’un raisonnement intérieur était en cours.

Les chercheurs en ont déduit que les nourrissons sont capables de faire des hypothèses sur des événements complexes et de les modifier rationnellement lorsqu’ils sont confrontés à des preuves incohérentes.
« Nos résultats indiquent, pour la première fois, que l’acquisition de la logique langagière pourrait ne pas être la source des éléments logiques les plus fondamentaux de notre esprit », explique Nicoló Cesana-Arlotti.

Cela peut ouvrir des questions intéressantes : est-ce que le développement de la zone langagière dans le cerveau se fait au détriment du développement des zones dédiées aux capacités logiques ? Cela pourrait expliquer pourquoi certains génies ont parlé tardivement.

Cendrina Collet

Références
Precursors of logical reasoning in preverbal human infants
Les bébés raisonnent logiquement avant de pouvoir parler…