L’Américain Adam Gazzaley est neuroscientifique et professeur en neurologie, physiologie et psychiatrie à l’Université de Californie à San Francisco (USA). Larry Rosen est professeur émérite de psychologie à la California State University de Dominguez Hills (Californie, USA). Ils sont les auteurs de The Distracted Mind : Ancient Brains in a High-Tech World, que l’on pourrait traduire par : L’esprit distrait : des cerveaux archaïques dans un monde de haute technologie.
Le cerveau humain est la chose la plus incroyable de l’univers, nous disent-ils. Il nous a amené sur la Lune, a construit les pyramides, a guéri la variole, a écrit des opéras sublimes… et ne peut pas s’empêcher d’aller vérifier Facebook toutes les 6 minutes.
Les deux auteurs se sont intéressés dans leur livre à ce paradoxe. Suivons-les un moment et écoutons leurs conseils.
Combien de temps des élèves (de tous âges) peuvent-ils se concentrer sans passer à quelque chose d’amusant, comme aller sur les médias sociaux ou envoyer des textos ? Cinq minutes. Et c’était dans des conditions de laboratoire, en leur demandant spécifiquement de se concentrer aussi longtemps qu’ils le pouvaient sur quelque chose qu’on leur disait être important.
La recherche montre que nous vérifions nos téléphones jusqu’à 150 fois par jour – environ toutes les 6 à 7 minutes lorsque nous sommes éveillés.
Selon un rapport de Scientific American, des données provenant d’un échantillon de 100 hôpitaux américains ont révélé que, en 2004, quelque 559 personnes s’étaient blessées en se cognant à un objet fixe en envoyant des textos. Le nombre a atteint 1 500 en 2010 et n’a cessé d’augmenter depuis.
En fait, nous sommes tellement distraits que nous marchons à côté de nos pompes. Nos capacités d’attention s’évaporent. Rester concentré semble relever d’une autre époque. A qui la faute ?
En fait, ce n’est pas la faute de la technologie, ce n’est pas la faute du téléphone : c’est la faute de notre cerveau. La technologie ne fait que faire empirer un phénomène directement lié à la structure de notre cerveau.
En effet, nos cerveaux sont conçus pour toujours rechercher de nouvelles informations. Dans un temps lointain, la matière grise de notre cerveau était à l’affût de nourriture ou d’eau ; le cerveau a évolué pour rechercher en permanence des informations pour survivre. Maintenant que nous avons de l’eau et de la nourriture sans trop de difficulté, nous nous abreuvons d’informations à une machine qui nous en fournit une infinité. Tout simplement.
Mais pourquoi accepter ces informations qui remplissent notre téléphone ou notre tablette ? C’est là où est le problème, en fait : on a montré que la recherche d’informations chez les primates était directement lié à une libération de dopamine – le neurotransmetteur lié au plaisir et à la récompense. Rechercher des informations nous donne du plaisir. Et, donc, difficile d’y résister.
Et pouvons-nous même y résister ? Difficilement, car ce désir de rechercher des informations – qui, donc, nous donne du plaisir – est bien plus puissant que la partie « contrôle cognitif » de notre cerveau. Et nos capacités de contrôle cognitif, nous disent les spécialistes, n’ont pas beaucoup évolué et ne diffèrent pas vraiment de celles observées chez d’autres primates avec qui nous avons partagé des ancêtres communs il y a quelques dizaines de millions d’années…
Et lorsque l’on rajoute à cela que la partie du cerveau la plus liée au contrôle cognitif, les lobes frontaux, est la dernière à arriver à maturité (entre 24 et 30 ans), on comprend que ce soient les jeunes qui soient les plus accros à cette recherche permanente d’informations.
Et un autre problème se rajoute au précédent : l’abondance des stimuli qui nous sollicitent en permanence. Tout comme les casques antibruit ont besoin de piles pour filtrer les bruits, notre cerveau doit dépenser des ressources précieuses pour filtrer les distractions qui nous entourent et nous sollicitent. Il est donc encore plus difficile de se concentrer dans des environnements riches en stimuli – et notre téléphone nous en fournit en permanence.
La situation est-elle désespérée ? Notre capacité d’attention est-elle définitivement dégradée ? Pas complètement, nous disent les chercheurs. Nous verrons dans un autre billet quelques suggestions pour récupérer une faculté d’attention acceptable.
Références
The Distracted Mind : Ancient Brains in a High-Tech World
This Is How To Increase Your Attention Span : 5 Secrets From Neuroscience