L’art difficile de la persuasion, vu par les neurosciences – Partie 1

Toutes les campagnes de santé publique ou les grands thèmes sociétaux actuels (comme le réchauffement climatique) se heurtent à la même difficulté – et ce blog que vous lisez rencontre également cette difficulté – : comment convaincre et persuader ? Vous pouvez par exemple montrer à des parents des dizaines d’études prouvant la nocivité des écrans ou des sodas pour les enfants, avec des références sérieuses et solides à l’appui, sans que les parents changent le moins du monde leurs comportements – en vous disant d’arrêter de vous mêler de leurs affaires. L’être humain étant supposé être un animal raisonnable, sensible à la logique des choses, on comprend mal pourquoi il se comporte ainsi, étant comme imperméable à des arguments rationnels pourtant imparables. Comment expliquer cela ?

Les neurosciences se sont intéressées au problème, et la réponse est simple : le cerveau humain n’est pas, comme un ordinateur, purement rationnel. Et lorsque nous ignorons cela, même les meilleurs efforts pour convaincre les autres peuvent échouer.

Suivons, au fil de trois billets, le livre The Influential Mind: What the Brain Reveals About Our Power to Change Others de la neuroscientifique israélienne Tali Sharot, professeur en sciences cognitives au Service de Psychologie Expérimentale de l’University College de Londres.

La mauvaise nouvelle : Tali Sharot nous y explique que même si nous avons un esprit scientifique qui adore traiter des données rationnellement, la manière dont notre cerveau évalue ces données et prend des décisions est très différente de ce que l’on pourrait attendre d’un esprit purement logique. Pourquoi ? Parce qu’une approche qui privilégie l’information et la logique ignore l’essentiel de ce qui nous rend humain : nos émotions, nos motivations, nos peurs, nos espoirs et nos désirs.

La bonne nouvelle : si le cerveau humain ne fonctionne pas selon des règles strictement logiques, il fonctionne malgré tout selon des règles. Et si nous connaissons ces règles, nous saurons mieux comment formuler nos arguments de manière à convaincre les autres.

La mauvaise nouvelle, c’est que ce sont souvent, à travers les âges, les fanatismes idéologiques et religieux qui ont utilisés, souvent intuitivement, ces règles.

La bonne nouvelle, c’est qu’une meilleure connaissance de ces règles peut nous permettre de démonter les manières de faire des différents fanatismes.

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Tali Sharot a identifié 7 facteurs qui influencent notre capacité à influencer. Explorons avec elle ces facteurs. Voici les deux premiers.

1) L’influence des croyances antérieures et des idées préconçues

Votre interlocuteur n’est pas né de la dernière pluie. Il a des croyances et des idées, qui s’appuient sur toute sa vie passée, sur son éducation comme sur ses expériences de la vie.

Lorsque notre cerveau entend de nouvelles informations en accord avec ses croyances antérieures, il les accepte avec empressement. Lorsqu’il entend des propos qui contredisent ses croyances antérieures, sa stabilité est mise en jeu et il s’érige aussitôt en avocat de la défense, à la recherche de toute argument contraire imaginable, aussi improbable soit-il. Et plus on insiste, plus la résistance est forte. Et, pire : lorsque nous présentons à quelqu’un des informations qui contredisent ses idées, cela peut l’amener à proposer de nouveaux arguments qui vont renforcer son point de vue de départ, ce que l’on appelle « l’effet boomerang ». Votre objectif de persuader est complètement raté.

Et si vous vous considérez comme vraiment intelligent, êtes-vous à l’abri de l’effet boomerang ? Pas forcément. Plus vos capacités cognitives sont grandes, plus vous êtes en mesure de rationaliser, d’interpréter les informations à votre guise et de modifier astucieusement les données pour les adapter à vos opinions. Un effet boomerang encore plus fort.

Alors, comment pouvons-nous surmonter cette résistance naturelle de notre cerveau ?

Le conseil de Tali Sharot : n’essayez pas de prouver à l’autre personne qu’elle a tort. Commencez par trouver un terrain d’entente avec elle.

Elle prend l’exemple des vaccins : dire aux parents qui refusent de vacciner leur enfant que la science a montré que les vaccins ne causent pas l’autisme ne modifie pas leur comportement. Il est plus efficace d’affirmer que les vaccins protègent leur enfant contre des maladies mortelles. Cet argument ne contredit pas leurs croyances antérieures et est compatible avec l’objectif commun, qui est de garder les enfants en bonne santé.

2) La synchronisation émotionnelle

Vous pouvez avoir les meilleures arguments possibles, mais si vous n’êtes pas « synchronisé émotionnellement » avec l’autre personne, elle risque de ne rien entendre ce que vous dites.

Que signifie cette « synchronisation émotionnelle » ? C’est une synchronisation qui se met en place au niveau du cerveau (la « synchronisation neurale ») permettant une meilleure communication avec les autres.

Tali Sharot cite la neuroscientifique finlandaise Lauri Nummenmaa, qui étudie cette synchronisation cérébrale. D’après elle, ce sont essentiellement les émotions qui participent à la synchronisation de deux cerveaux qui tentent de communiquer entre eux, permettant de faciliter les interactions sociales et la compréhension mutuelle. Par les émotions partagées, nous synchronisons l’état physiologique de l’auditeur avec celui de l’orateur, ce qui augmente les chances que l’auditeur traite les informations entrantes de la même manière que l’orateur les voit.

Pratiquement, cela signifie que le fait de susciter des émotions peut vous aider à communiquer vos idées et à faire partager votre point de vue à d’autres personnes, que vous parliez à un seul individu ou que vous parliez à des milliers de personnes – pour le meilleur comme pour le pire.

Comment, en pratique, pouvons-nous susciter cette synchronisation émotionnelle ?

Cela dépend évidemment du contexte. On peut raconter une blague ou une histoire pour détendre l’atmosphère, et ensuite la conversation semblera plus facile.
Pour Tali Sharot, l’un des moyens les plus puissants de créer cette synchronisation émotionnelle est de partager des sentiments. Les émotions que cela crée sont particulièrement contagieuses. Nous façonnons ainsi les états émotionnels des autres personnes, augmentant ainsi les chances qu’elles partagent notre point de vue.

A suivre…

Bruno Hourst

Références

The Influential Mind: What the Brain Reveals About Our Power to Change Others