L’activité physique pour mieux apprendre – à l’école et ailleurs


Je me souviens de cette jeune fille, élève d’une classe de Seconde où j’enseignais les mathématiques. Au milieu d’une démonstration délicate de géométrie, je la vois se lever et venir tranquillement jusqu’à ma table, jeter un papier dans la poubelle et repartir tranquillement à sa place, au fond de la classe. A l’époque, je n’avais pas compris. Maintenant je ferais une double interprétation de son comportement – qu’elle ne comprenait sans doute pas elle-même :

  • je ne sollicitais jamais son intelligence corporelle/kinesthésique – l’une des 8 composantes de la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner, intelligence qu’elle avait peut-être très forte ;
  • elle ne supportait plus, comme tout être humain normalement constitué, de rester indéfiniment assise.

Explorons un peu en détail ce deuxième point : quel rôle joue l’activité physique sur la qualité d’un apprentissage ?
La réponse de l’Américain Eric Jensen, s’appuyant sur de nombreuses recherches, est claire et sans aucune ambiguïté : l’activité physique joue un rôle essentiel dans la qualité d’un apprentissage. Dit autrement : on apprend mieux lorsqu’on bouge plus. Et – dommage –, on demande essentiellement aux élèves de rester assis, donc sans activité physique, pratiquement toute la durée qu’ils passent à l’école, sans compter le temps qu’ils passeront ensuite à faire leur travail à la maison.

En compilant différentes recherches (citées dans l’article proposé en Ressources), Jensen a trouvé plusieurs raisons pour lesquelles les élèves apprendraient mieux s’ils avaient plus d’activités physiques.

1. Une meilleure circulation. L’activité physique augmente le rythme cardiaque et la circulation, permettant une meilleure irrigation du cerveau. Les étirements sont particulièrement bénéfiques : le liquide cérébro-spinal circule mieux dans des régions clés du cerveau, qui reçoivent également plus d’oxygène.

Conseil aux enseignants : faire régulièrement avec ses élèves des étirements et des exercices de « yoga à l’école ».

2. Un développement des capacités spatiales. Le fait est bien connu en Maternelle : le mouvement permet au corps de se relier à l’espace dans lequel se déplace le corps, de développer des capacités spatiales et une meilleure coordination des gestes. L’activité physique et le mouvement, même quand on est plus grand, continue à développer cette relation à l’espace.

Conseil aux enseignants : proposer aux élèves des activités nécessitant de se déplacer dans la salle de classe.

3. Une occasion de faire un break. Notre cerveau est conçu pour apprendre pendant des courtes périodes, nécessitant un temps d’incubation entre chaque période. Le temps passé où l’on n’apprend pas est très important. Les chercheurs expliquent : l’escale obligée de l’information apprise, avant d’être stockée dans le néo-cortex, est dans l’hippocampe. C’est une petite structure du cerveau reliée à la mémorisation, qui organise l’information, la trie et la distribue aux différentes parties du cerveau pour être mémorisée sur le long terme. Lorsque l’hippocampe est surchargé, il n’y a plus d’apprentissage.

Conseil aux enseignants : remplir au maximum ses cours pour « terminer le programme » est contre-productif. Différents types de pauses, dont des activités physiques, devraient être programmées régulièrement dans le cours de l’apprentissage pour permettre une meilleur assimilation.

4. Déclencher la libération de bons produits chimiques. Certaines activités peuvent stimuler la production de certains composants chimiques qui favorisent d’une manière naturelle la motivation et l’apprentissage, en particulier la noradrénaline (hormone liée à la prise de risque et à l’urgence) et la dopamine (neurotransmetteur lié au plaisir).

Conseil aux enseignants : proposer des activités qui nécessitent une certaine prise de risques (comme faire un exposé, découvrir des personnes ou des situations nouvelles, faire des compétitions) ; proposer des activités qui développent le lien social, qui célèbrent le travail accompli ensemble, ou des activités physiques pour se redonner de l’énergie.

5. Eviter de rester assis indéfiniment. L’être humain n’a pas évolué pendant les 400000 dernière années pour rester assis sur une chaise. Rester assis trop longtemps est un risque direct pour la santé, en particulier pour un jeune : mauvaise respiration et oxygénation, tension de la colonne vertébrale et du dos, mauvaise vue, fatigue générale du corps. Lorsque des élèves ont du mal à rester tranquille et à se concentrer, la cause peut en être la mauvaise ergonomie des chaises et le manque d’activité physique. Maria Montessori notait déjà en 1912 : « Lorsqu’on utilisait les chaises, les enfants ne devenaient pas disciplinés mais annihilés ».

Conseil aux enseignants : vérifier, dans la mesure du possible, l’ergonomie des chaises des élèves – et leur apprendre à être correctement assis. Et trouver toutes les bonnes raisons de faire bouger les élèves lors des apprentissages, de manière structurée et suivant des règles fixées.

6. Utiliser l’intelligence corporelle/kinesthésique. Selon la théorie des intelligences multiples, l’intelligence corporelle/kinesthésique est tout aussi importante à développer et à utiliser que les sept autres. Dans n’importe quel groupe d’élèves, on peut être certain que c’est l’intelligence préférentielle d’un certain nombre d’élèves, donc ne pas la stimuler régulièrement empêche ces élèves d’apprendre correctement.

Conseil aux enseignants : se familiariser avec la théorie des intelligences multiples, et les intégrer toutes, progressivement, dans leurs cours – en particulier l’intelligence corporelle/kinesthésique.

Pour résumer ce que nous disent les chercheurs  : un apprentissage actif, incluant en particulier le corps, a des résultats significativement meilleurs qu’un apprentissage sédentaire et passif.
L’activité physique n’est pas réservée aux enseignants d’EPS à l’école, ou au jogging du dimanche matin pour le cadre surbooké – des notions ringardes à mettre au placard. L’activité physique doit retrouver sa place naturelle dans tout ce que nous faisons.

Bruno Hourst

Références
Moving with the Brain in Mind
Illustration Jilème