Raconter des histoires est une pratique – vraiment – vieille comme le monde. Que cela soit pour tenter de donner un sens à l’inexplicable (comme les figurations de la création du monde dans diverses civilisations) ou pour transmettre des connaissances d’une génération à une autre, les histoires sont partout, et de tous temps. La mythologie grecque, les fables d’Ésope ou les contes de Grimm racontent des histoires, qui transmettent toutes des messages plus ou moins subliminaux.
Notre époque redécouvre, avec des études savantes et de nombreuses recherches, que les histoires ne sont pas faites uniquement pour endormir les enfants, mais qu’elles sont d’une grande efficacité pour transmettre, faire apprendre, diriger – et manipuler. Avec de grosses machines à observer ce qui se trouve entre nos deux oreilles, on découvre à quel point une bonne histoire peut avoir un effet puissant sur le cerveau, et pas seulement en termes de divertissement.
Par exemple, le chercheur anglais Gerry Beamish explique : « Raconter une histoire est le seul moyen d’activer des parties du cerveau de telle manière que l’auditeur transforme l’histoire en ses propres idées et en ses propres expériences. En terme d’influence, rien n’est plus puissant que de penser que l’idée est la sienne. Lorsque les gens croient que l’idée est la leur, ils mettent toute leur énergie pour la mettre en œuvre. »
Dans ce billet, tentons de mieux comprendre l’intérêt de raconter des histoires dans un contexte d’apprentissage. Dans un autre billet nous nous intéresserons à l’utilisation de raconter des histoires dans un milieu professionnel, ce que l’on appelle le storytelling.
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Diann Moorman, de l’Université de Géorgie (États-Unis), écrit : « Bien que de nombreux enseignants utilisent des histoires, elles sont souvent présentées spontanément et peuvent ne pas être considérées comme faisant partie intégrante des activités d’apprentissage et d’enseignement. On considère en général que raconter une histoire n’est pas un véritable outil d’apprentissage. »
Les recherches de Diann Moorman visent à prouver le contraire : raconter des histoires est un moyen d’améliorer l’apprentissage des élèves.
Elle a publié une étude intitulée This Is Not a Fable: Using Storytelling in a College Classroom to Enhance Student Learning (Ce n’est pas une fable : utiliser des histoires dans une salle de classe d’un collège améliore l’apprentissage des élèves). En utilisant des données recueillies lors de contrôles en classe et de questionnaires en ligne, la chercheuse montre que du contenu présenté en étant relié à des histoires est mieux mémorisé que lorsqu’il est présenté d’une manière classique. Et elle montre également que les élèves mémorisent plus longtemps – au-delà d’un semestre – ce qu’ils ont appris au travers d’histoires.
Lorsque l’on relie un contenu d’apprentissage à des histoires, il faut cependant être prudent, en particulier avec ce que l’on appelle la « petite histoire ». C’est ainsi qu’un élève de Troisième à qui l’on posait la question suivante, lors d’un Brevet blanc : « Qui était Hitler ? » a donné pour seule réponse : « Hitler était un peintre raté et ses professeurs le battaient. »
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Mais pourquoi raconter des histoires facilite-t-il l’apprentissage et la mémoire ?
Selon Paul Zak, neuro-économiste (oui, ce métier existe) à la Claremont Graduate University (Californie, Etats-Unis), les histoires captent mieux notre attention que d’autres informations car elles laissent une trace physique et émotionnelle dans notre cerveau.
« En tant que créatures sociales qui entrent régulièrement en contact avec d’autres personnes, les histoires sont un moyen efficace de transmettre des informations et des valeurs importantes d’un individu ou d’une communauté à une autre. Les histoires personnelles et émotionnellement convaincantes impliquent davantage le cerveau et sont donc mieux mémorisées que le simple énoncé d’un ensemble de faits.»
Mais les chercheurs ont découvert que ces histoires doivent suivre certaines règles pour être efficaces :
- elles doivent avoir un niveau de tension croissant ;
- il doit y avoir un protagoniste qui est confronté à un défi ou à un conflit stressant, quelque chose qui l’engage émotionnellement et intellectuellement.
Dans deux précédents billets, nous avons vu que l’ocytocine était connue comme étant l’« hormone de l’amour », mais également comme celle du lien social.
Paul Zak, qui a également étudié le rôle de l’ocytocine dans les relations sociales, explique que les histoires qui captent l’attention doivent être centrées sur un personnage. « Vous pouvez écouter une histoire de guerre ou autre chose avec beaucoup d’action qui attirera votre attention, mais vous avez toujours besoin d’une histoire personnelle, d’une personne avec laquelle sympathiser. Nous avons besoin de cet aspect social pour que l’histoire résonne en nous. Nous savons que ce que l’on nous raconte est fictif, mais des parties de notre cerveau, avec une stimulation d’ocytocine, déclenchent les émotions que nous pensons que le personnage doit ressentir. Et nous commençons alors à ressentir nous-même ces émotions. »
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Mais des histoires, on peut les lire (dans un livre), les entendre (d’un conteur ou d’un enseignant) ou les voir (dans un film). Ont-elles la même efficacité ?
Nous avons vu dans un précédent billet que la lecture d’un roman déclenche des changements neuronaux reliés au fait que la lecture d’un roman peut vous transporter émotionnellement dans le corps du protagoniste.
Les chercheurs ont également constaté des effets similaires dans l’écoute d’histoires, ce qui est une bonne nouvelle pour les enseignants souhaitant intégrer des histoires à leurs cours.
« Écouter une histoire est l’une des formes de média les plus intimes car vous construisez constamment vos propres images de l’histoire et vous créez votre propre production », explique Emma Rodero, professeur de communication à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone (Espagne). « À l’instar de la lecture, écouter une histoire permet de créer ses propres versions des personnages et des scènes de l’histoire. Mais écouter, contrairement à regarder une page écrite, est plus actif, car le cerveau doit traiter les informations au rythme auquel elles sont présentées. »
Une histoire racontée visuellement produit des effets encore plus puissants. Les chercheurs ont constaté que regarder un film qui racontent une histoire améliore encore plus l’apprentissage que la lecture ou l’écoute de la même histoire.
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Qui utilise des histoires de nos jours, à part les parents pour endormir les enfants et les managers pour manager leurs collaborateurs ? Des instances – éducatives ou non – du monde entier commencent à intégrer délibérément la narration d’histoires dans leurs programmes et leurs cours, et le potentiel éducatif est illimité. En voici deux exemples aux États-Unis.
Narrative 4
En juin 2012, un rassemblement sans précédent d’écrivains et de défenseurs de la justice sociale s’est réuni pour rêver de la façon dont le monde pourrait être transformé en utilisant des histoires. Le résultat est Narrative 4, un mouvement devenu mondial. Dans les écoles et d’autres communautés, N4 a pour objectif de susciter « un espoir sans peur grâce à une empathie radicale » et à « utiliser la puissance de l’échange d’histoires pour encourager les jeunes adultes à améliorer leur vie, leur communauté et le monde ». Cela se fait par le biais d’échanges d’histoires dans lesquels deux personnes partagent leurs histoires puis racontent les histoires de l’autre.
Leur phrase d’accueil sur leur site : « Les dirigeants de demain doivent apprendre l’empathie aujourd’hui. » – une phrase qui pourrait être au fronton des écoles qui forment les élites françaises.
On pourra faire un lien avec un autre mouvement mondial qui souhaite changer le monde, mais à travers la musique : Playing for Change. Lisez le billet où cette association est présentée.
Storycorps
Le projet de Dave Isay a débuté en 2003 avec un stand d’enregistrement situé à la gare de Grand Central Terminal à New-York (Etats-Unis). Storycorps est une association à but non lucratif américaine qui a pour ambition d’aider des citoyens américains à enregistrer le récit de leurs histoires personnelles, à les faire écouter gratuitement aux personnes intéressées et à les sauvegarder dans une bibliothèque. Avec maintenant plus de 50 000 histoires racontées, ces récits individuels constituent un immense héritage social et culturel.
Raconter des histoires ou faire de la musique pour sauver le monde ? Voilà des utopies réconfortantes dont la France aurait sans doute grand besoin.
Bruno Hourst
Ressources
How Storytelling Can Enhance Any Learning Experience
This Is Not a Fable: Using Storytelling in a College Classroom to Enhance Student Learning