Leadership : vaut-il mieux être aimé ou être craint ?

La rumeur du monde nous apporte une vision contrastée du leadership, personnifié en particulier par celles et ceux qui dirigent le monde. Pour certains, être un leader efficace consiste à être dur, à ne pas rechercher la sympathie des personnes que l’on dirige – dit autrement : se comporter comme une caricature de sergent-chef. Ces dirigeants, et la France n’en n’est pas exempte, disent en gros : «  Je ne suis pas là pour être aimé, je suis là pour faire avancer les choses. ». Et si l’on termine ce type de commentaire par l’expression, tirée du jargon militaire, « point-barre ! », on est vraiment dans l’air du temps.
D’autres, probablement beaucoup moins nombreux, pensent que le fait d’être sensible envers les personnes que l’on dirige stimulera chez elles un désir positif de travailler avec eux, ce qui aidera à faire avancer les choses.
Entre ces deux visions opposées du leadership, y a-t-il des preuves objectives que l’une est meilleure que l’autre ?

C’est ce qu’ont voulu étudier Daniel Ames et Francis Flynn, de l’Université de Columbia à New-York (États-Unis). Ils ont travaillé avec 3 groupes d’étudiants en MBA (Master of Business Administration, l’un des diplômes les plus côtés dans le monde des affaires). Ces étudiants ont rempli des questionnaires sur comment ils se considéraient entre eux et comment ils considéraient les managers sous la direction desquels ils avaient travaillés. Les deux chercheurs en ont tirés des résultats sur deux plans : la productivité et les résultats sociaux. En d’autres termes, dans quelle mesure les gens sont-ils aimés et dans quelle mesure ont-ils fait avancer les choses ?
Voici ce qu’ils ont trouvé.

  • Productivité : une forte affirmation de soi conduit à des rendements décroissants. En termes de résultats, il n’est donc pas souhaitable d’avoir une forte affirmation de soi, mieux vaut avoir une affirmation de soi modérée – qui sera toujours meilleure que d’avoir une faible affirmation de soi.
  • Résultats sociaux : des niveaux d’affirmation de soi de plus en plus élevés conduisent à des résultats sociaux de plus en plus médiocres. Il vaut mieux, encore une fois, avoir une affirmation de soi modérée plutôt que haute ou très haute.

En combinant les deux résultats, vous obtenez une courbe en U inversé. Ainsi, les personnes avec une affirmation de soi faible obtiennent moins de résultats, mais les personnes très affirmées sont socialement insupportables.

à gauche : Productivité faible
à droite : Socialement insupportable
en-dessous : Affirmation de soi, assertivité

L’idéal semble d’être au milieu et en haut de la courbe, que cela soit pour gérer les conflits, tenter d’influencer positivement ou pour motiver une équipe.

Un autre point est intéressant à relever dans cette étude : qu’elle soit trop importante ou trop faible, nous évaluons essentiellement nos collègues, nos managers et nos leaders à travers leur affirmation de soi, plus que sur leur intelligence, leur charisme ou leurs compétences professionnelles. L’affirmation de soi est donc un paramètre essentiel pour entrer en relation avec les personnes que l’on doit diriger, ou avec lesquelles on doit travailler ou vivre.
Mais, curieusement, quand des personnes ont une affirmation de soi modérée, nous ne le remarquons pas. L’affirmation de soi semble alors disparaître de notre radar de jugement de la personnalité. On dira d’un leader qu’il est trop dur, ou qu’il est trop mou. Mais s’il se trouve dans une juste moyenne d’affirmation de soi, personne ne le remarquera.
En conclusion, il semble donc que l’opinion habituelle selon laquelle vous obtenez de meilleurs résultats en dirigeant les gens avec dureté est probablement une erreur, tout comme une approche trop en douceur. Certes, avoir une affirmation de soi très forte peut fonctionner à court terme. Mais à long terme, les gains de productivité sont faibles par rapport aux dommages sociaux considérables que cela peut créer.

Vous trouverez facilement des exemples concrets de ces conclusions – qui relèvent en fait du bon sens – en observant les personnes qui nous dirigent, que cela soit en politique, dans les affaires ou dans la conduite d’une équipe. Et vous remarquerez qu’il est effectivement facile de trouver des personnes ayant une affirmation de soi trop forte ou trop faible, mais qu’il est plus difficile de trouver des personnes situées dans un juste milieu.

Bruno Hourst

Ressources

Can You Get Things Done Without Making People Hate You?

What breaks a leader: The curvilinear relation between assertiveness and leadership