Avez-vous parfois le sentiment que vous transportez avec vous, et quotidiennement, des objets toxiques ? Vous fouillez dans vos poches et ne trouvez rien de tel. Et pourtant… Qui ne porte pas, dans un coin de son esprit, du ressentiment pour telle ou telle personne, un collègue, un frère, un ex-conjoint ou un policier trop zélé à « faire du chiffre » ? Comment agit sur notre cerveau ces émotions négatives passées dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser ? Les chercheurs nous disent qu’elles sont très, très toxiques. En suivant l’Américain Eric Jensen, qui fait une synthèse de nombreuses recherches, découvrons les effets délétères du ressentiment et voyons comment nous pouvons les sortir définitivement de notre esprit.
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D’après le chercheur Paul Ekman de l’Université de Californie, dans un article intitulé What Scientists Who Study Emotion Agree About (Ce sur quoi ceux qui étudient les émotions sont d’accord), les humains ont des émotions apprises et figées, « câblées » dans notre cerveau et qui servent à notre survie : par exemple, la peur d’un danger physique nous prépare à fuir ou à nous battre.
Le ressentiment (ou la rancune) est considéré par certains comme une émotion nécessaire à notre survie – et ils ont tord. Il n’y a absolument aucun avantage à conserver un ressentiment envers quiconque nous a fait du tort, aussi terrible que soit l’action qui nous a blessé. Le fait de se débarrasser de ce sentiment de ressentiment ou d’hostilité n’est pas une acceptation du comportement de ceux qui nous ont blessé : c’est une manière de relever l’ancre que nous traînons au fond de l’océan tout en ramant pour faire avancer la barque de notre vie.
Qu’est-ce que le ressentiment ? D’où viennent les rancunes ou les ressentiments qui nous habitent et comment nous en débarrasser ? Voyons d’abord la définition.
Le ressentiment ou la rancune, à quelques nuances près, c’est « en vouloir à quelqu’un », c’est garder pendant très longtemps une charge émotionnelle contre un autre. C’est une blessure non résolue et non guérie de quelque chose qu’un autre a dit ou a fait et qui nous a blessé. Que cela soit réel ou imaginaire, dans les deux cas la douleur est réelle.
Curieusement, le ressentiment active le système de récompense dans votre cerveau – en particulier le noyau accumbens et le noyau caudé qui jouent un rôle important dans le circuit de la récompense. C’est ce qu’expliquent les chercheurs Joseph Billingsley et Elizabeth Losin, de l’Université de Miami (États-Unis). Comment expliquer cela : que la rancune active le circuit de la récompense dans notre cerveau ? C’est parce que nous gardons cette blessure dans notre conscience en pensant pouvoir un jour avoir le plaisir de punir en retour celui qui nous a blessé – que nous imaginons comme une sorte de récompense.
Bien entendu, c’est une illusion. Car même si nous avons l’occasion de punir en retour la personne qui nous a blessé, cela ne sera jamais une « récompense » et cela n’effacera jamais ce qui nous a fait souffrir.
Cet espoir de récompense, en plus d’être illusoire, est hautement toxique et touche à notre santé physique, émotionnelle et cognitive.
- La santé physique. Les chercheurs américains Loren Toussaint, Grant Shields et Gabriel Dorn ont montré que les personnes qui ont de la rancune et du ressentiment sont sujettes à toute une série de conséquences indésirables : maladies cardiaques, obésité, résistance à l’insuline, taux de lipides élevé, excès de triglycérides, augmentation de la consommation d’alcool et tabagisme – pour n’en nommer que quelques-uns
- La santé émotionnelle. Le chercheur Anthony Ricciardi a montré que le ressentiment est lié à la dépression et à d’autres problèmes de santé mentale.
- La santé cognitive. Nous avons besoin chaque jour d’un cerveau pleinement fonctionnel pour notre travail. Le chercheur Toussaint a montré que les personnes qui entretiennent de l’hostilité envers d’autres souffrent d’une altération de la fonction cognitive, ce qui rend difficile la réflexion, l’apprentissage et la mémorisation.
Alors, puisque les effets du ressentiment sont si toxiques, comment s’en débarrasser ? Les chercheurs cités plus haut nous expliquent que cela tient en deux choses :
- la réduction (ou la dissipation) de nos pensées, sentiments ou motifs de vengeance ou de colère,
- un mouvement de positivité à l’égard de la personne qui nous a blessé,et faire en sorte que cela soit un trait permanent de notre personnalité.
Encore une fois, il ne s’agit pas de nier ni d’annuler la gravité de la blessure créée : il s’agit de reconnaître la douleur, de prendre le contrôle de la blessure et de choisir de l’accepter.
Se détacher de sa rancune ou de son ressentiment n’est pas facile. Quel intérêt pouvons-nous y gagner ? Essentiellement pour les trois raisons citées plus haut : pour avoir une meilleure santé physique, émotionnelle et cognitive.
- Les mêmes chercheurs confirment que les personnes qui se détachent de leur rancune ont une meilleure santé physique et plus précisément : ils ont un cœur en meilleure état, vivent plus longtemps, dorment mieux, ont moins tendance à se tourner vers les médicaments ou l’alcool pour se soulager.
- Ils ont également une meilleure santé émotionnelle : ils ont moins de stress (ce qui améliore également la santé physique), sont plus heureux et ont un état de bien-être général.
- Et enfin ils confirment que cela peut peut atténuer les déficiences cognitives, qui pourraient sinon persister plus de 10 ans.
Nous avons vu que le ressentiment et la rancune agissent sur le circuit cérébral de la récompense, en attente d’un plaisir illusoire de revanche. Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous choisissons de laisser tomber notre rancune ?Cette partie de notre cerveau nous donne le choix de rester sur notre rancune ou de nous en débarrasser. C’est notre choix de vie, pas une fatalité.
Dans ce cas, les chercheurs Joseph Billingsley et Elizabeth Losin, cités plus haut, ont montré une activité particulière du cortex préfrontal, une région du cerveau impliquée dans la pensée critique, la planification et la prise de décision : c’est le cortex préfrontal qui fait que vous décidez de prendre un parapluie parce que le bulletin météo a annoncé de la pluie, de donner un rendez-vous à une personne que vous appréciez – ou d’arrêter votre ressentiment. Les mêmes chercheurs ont montré que le cortex préfrontal semble inhiber la recherche de vengeance générée par les centres de récompense du cerveau qui génèrent le ressentiment.
Cette partie de notre cerveau nous donne le choix de rester sur notre rancune ou de nous en débarrasser. C’est notre choix de vie, pas une fatalité.
Pratiquement, comment faire ? Voici 5 étapes qui sont proposées pour nous débarrasser de nos rancunes :
- Reconnaître la souffrance : si vous voulez vraiment vous débarrasser de la souffrance qui a engendré votre ressentiment, vous devez d’abord reconnaître les sentiments que vous vivez. Exprimez-les par écrit ou partagez-les avec une personne de confiance.
- Reconnaître l’inutilité du ressentiment : refuser de lâcher son ressentiment donne un faux sentiment de pouvoir : en réalité, vous laissez le choix à quelqu’un d’autre avoir du pouvoir sur vous.
- Faire preuve d’empathie envers la personne qui vous a blessé. Considérez la personne qui vous a blessé comme un être humain, doté d’une humanité, d’un caractère et d’une personnalité qui ne se réduit pas à ce qu’elle vous a fait. Voyez les choses avec son point de vue : quel besoin cherchait-elle à satisfaire en agissant comme elle a agi ? Trouvez des similitudes entre vous et la personne qui vous a blessé.
- Faire le choix de tourner la page. La souffrance que vous réactivez en demeurant dans le passé est votre choix. Choisissez de ne plus être victime, abandonnez votre désir d’attendre une justice qui serait délivrée par une puissance supérieure, et passez à autre chose. Utilisez votre cortex préfrontal et choisissez une vie meilleure et une meilleure santé.
- Réparer ou couper la relation. Il vous appartient de décider si la personne qui est à l’origine de cette expérience blessante doit rester dans votre vie. Si c’est le cas, travaillez à réparer la relation et à aller de l’avant. Sinon, retirez-la de votre vie et passez à autre chose.
Un point supplémentaire : il arrive que nous ayons de la rancune… envers nous-même, en particulier lorsque nous n’atteignons pas le niveau de perfection que nous aimerions montrer au monde. La pathologie est la même que lorsque cette rancune vise une personne extérieure. Et le remède est identique. Acceptons nos imperfections – ce qui ne signifie pas de les justifier – et réparons notre relation avec nous-même.
Bruno Hourst
Ressources
What Scientists Who Study Emotion Agree About
The Neural Systems of Forgiveness: An Evolutionary Psychological Perspective